Le culte du moi 3 | Page 9

Maurice Barrès
elle un peu morne.
Mais le mot essentiel sur la vie, la formule d'action, réduite à ce qu'en peut fournir une petite rêveuse de grande indigence intellectuelle, lui fut dit sous la galerie en demi-clo?tre du chateau.
Dans cette cour pleine de pierres tombales, de sculptures mutilées, de verdures et des herbes violentes du Languedoc, elle vit un débris gothique dont l'énergique symbolisme, ironie et vérité trop crues, la frappa singulièrement: c'était un monstre qui d'une main se mettait une pomme dans la bouche, et de l'autre, avec un doigt délicat, désignait le bas de son échine.
Cette attitude si simple et nullement équivoque fut un enseignement pour cette petite fille. Le cynique professeur lui fit voir qu'il y a une corrélation entre la nécessité de vivre et le geste de la sensualité. De ce sphinx-gargouille elle re?ut le tour d'esprit qui lui fit accepter toute sa vie les familiarités des vieillards.
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Ainsi l'enfant grandit durant dix années, jusqu'à la mort des siens; et chaque saison, elle faisait mieux voir les vertus que ce musée déposait en elle. Elle ressentait tous les mouvements de ce passé compliqué, ardent et jeune, auquel elle avait laissé prendre son coeur.
Mais si cette vapeur de mort, qui se dégage des objets ayant perdu leur utilité, purgeait le coeur de Bérénice de toute parcelle de mesquin et de bas, peut-être a trop pénétrer cette petite fille la rendait-elle maladroite à supporter la vie. Une ame embrumée, dans un corps infiniment sensible, telle était celle que nourrissait ce tombeau orné. Son masque entêté offrait de grandes analogies avec le petit buste du musée d'Arles, où la légende voit ce mélancolique Marcellus, le jeune prince qui ne put vivre. Quand elle descendait dans l'appartement des siens, une fa?on de loge de concierge, elle s'y sentait étrangère et comme une petite exilée. Virgile, s'il est vrai qu'il pleura sur la pauvre race italiote, trop attachée au passé, incapable de supporter sans gémir les temps nouveaux, e?t été entra?né vers cette fille qui, pour se préparer à la dure vie des dédaignées, ne savait que s'envelopper de la part originelle de sa race.
Parfois, à la fra?cheur du soir, après ces journées du Midi si grossières de sensualité, sa mère, jeune femme distraite et toute à se désoler de son vieux mari, la préparait pour sortir. Dans l'armoire à glace, fortement parfumée des herbes recueillies sur la garrigue, le soleil couchant envoyait quelques rayons, et sa mère, pour la coiffer, en tirait un petit chapeau de velours rouge, qui remplissait l'enfant passionnée du sentiment de la beauté et brisait ses nerfs d'une douceur délicieuse, dont l'ébranlement retentit jusqu'en sa chère agonie. Mais elle se contraignait jusqu'à ce qu'elle f?t sur la route, où sa mère s'écartait pour rire avec des jeunes gens. Alors, dans l'obscurité descendue, elle sanglotait, comprenant confusément que la vie des êtres sensibles est chose somptueuse et triste.
O ma chère Bérénice, combien vous êtes près de mon coeur.
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CHAPITRE CINQUIèME
BéRéNICE A AIGUES-MORTES.--LES AMOURS DE PETITE-SECOUSSE ET DE FRAN?OIS DE TRANSE.
J'étais à Arles depuis quelques jours, et cependant que j'en visitais les mélancoliques beautés, je m'étais mis en relation avec les esprits les plus généreux de l'arrondissement, avec ceux qui sont impatients de toute modification et avec ceux qu'on avait mécontentés. Nous causames ensemble des injures subies par la patrie, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, et de politiques nos relations devinrent presque cordiales.
Au milieu de ces délicates démarches, c'est Bérénice qui m'occupait. Arles, où rien n'est vulgaire, me parlait de l'enfant du musée du roi René. Ses arènes et ses temples dévastés manifestent que les hommes sont des flétrisseurs; or si j'ai tant aimé ma petite amie, c'est qu'elle était pour moi une chose d'amertume. Mon inclination ne sera jamais sincère qu'envers ceux de qui la beauté fut humiliée: souvenirs décriés, enfants froissées, sentiments offensés. Saint-Trophime, humide et écrasé, dit une louange irrésistible à la solitude et s'offre comme un refuge contre la vie. J'y retrouve sentiment exact qui m'emplissait jadis, quand, m'échappant de mes dures besognes ou d'études abstraites, je courais, fort tard dans la soirée, à mes étranges rendez-vous avec Petite-Secousse. Ce n'était, vraiment, ni amour, ni amitié; dans cette trop forte vie parisienne, qui créait en moi la volonté mais laissait en détresse des parts de ma jeunesse, c'était un besoin extrême de douceur et de pleurs.
Ainsi rêvant à l'enfant pitoyable et fine qui est devenue une fille éclatante, je me promène sous le clo?tre. Des colombes roucoulent sur son bas toit de tuiles, les écoliers énervés tapagent dans la ruelle, et pourtant c'est la paix où mon rêve est à l'aise. Arles, visitée tant d'hivers, toujours me fut une cité de vie intérieure. Chevaux qui riez avec un entrain mystérieux dans l'Adoration des rois de Finsonius, --petite vierge de quinze ans,
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