Le culte du moi 1 | Page 3

Maurice Barrès
qu'on soit encore oblig�� d'en revenir �� des notions qui, une fois pour toutes, devraient ��tre acquises aux esprits un peu d��frich��s. ?Les moralistes, disait avec une haute clairvoyance Saint-Simon en 1807, se mettent en contradiction quand ils d��fendent �� l'homme l'��go?sme et approuvent le patriotisme, car le patriotisme n'est pas autre chose que l'��go?sme national, et cet ��go?sme fait commettre de nation �� nation les m��mes injustices que l'��go?sme personnel entre les individus.? En r��alit��, avec Saint-Simon, tous les penseurs l'ont bien vu, la conservation des corps organis��s tient �� l'��go?sme. Le mieux o�� l'on peut pr��tendre, c'est �� combiner les int��r��ts des hommes de telle fa?on que l'int��r��t particulier et l'int��r��t g��n��ral soient dans une commune direction. Et de m��me que la premi��re g��n��ration de l'humanit�� est celle o�� il y eut le plus d'��go?sme personnel, puisque les individus ne combinaient pas leurs int��r��ts, de m��me des jeunes gens sinc��res, ne trouvant pas, �� leur entr��e dans la vie, un ma?tre, ?_axiome, religion ou prince des hommes_,? qui s'impose a eux, doivent tout d'abord servir les besoins de leur Moi. Le premier point, c'est d'exister. Quand ils se sentiront assez forts et possesseurs de leur ame, qu'ils regardent alors l'humanit�� et cherchent une voie commune o�� s'harmoniser. C'est le souci qui nous ��mouvait aux jours d'amour du _Jardin de B��r��nice_.
Mais, par un examen attentif des seuls titres de ces trois petites suites, nous allons toucher, s?rement et sans tra?ner, leur essentiel et leur ordonnance.
* * * * *
b.--TH��SE DE ?SOUS L'OEIL DES BARBARES?
Grave erreur de pr��ter �� ce mot de barbares la signification de ?philistins? ou de ?bourgeois?. Quelques-uns s'y m��prirent tout d'abord. Une telle synonymie pourtant est fort oppos��e �� nos pr��occupations. Par quelle grossi��re obsession professionnelle s��parerais-je l'humanit�� en artistes, fabricants d'oeuvres d'art et en non-artistes? Si Philippe se plaint de vivre ?sous l'oeil des barbares?, ce n'est pas qu'il se sente opprim�� par des hommes sans culture ou par des n��gociants; son chagrin c'est de vivre parmi des ��tres qui de la vie poss��dent un r��ve oppos�� �� celui qu'il s'en compose. Fussent-ils par ailleurs de fins lettr��s, ils sont pour lui des ��trangers et des adversaires.
Dans le m��me sens les Grecs ne voyaient que barbares hors de la patrie grecque. Au contact des ��trangers, et quel que f?t d'ailleurs le degr�� de civilisation de ceux-ci, ce peuple jaloux de sa propre culture ��prouvait un froissement analogue �� celui que ressent un jeune homme contraint par la vie �� fr��quenter des ��tres qui ne sont pas de sa patrie psychique.
Ah! que m'importe la qualit�� d'ame de qui contredit une sensibilit��! Ces ��trangers qui entravent ou d��voient le d��veloppement de tel Moi d��licat, h��sitant et qui se cherche, ces barbares sous la pression de qui un jeune homme faillira �� sa destin��e et ne trouvera pas sa joie de vivre, je les ha?s.
* * * * *
Ainsi, quand on les oppose, prennent leur pleine intelligence ces deux termes Barbares et Moi. Notre Moi, c'est la mani��re dont notre organisme r��agit aux excitations du milieu et sous la contradiction des Barbares.
Par une innovation qui, peut-��tre, ne demeurera pas inf��conde, j'ai tenu compte de cette opposition dans l'agencement du livre. Les concordances sont le r��?it des faits tels qu'ils peuvent ��tre relev��s du dehors, puis, dans une contre-partie, je donne le m��me fait, tel qu'il est senti au dedans. Ici, la vision que les Barbares se font d'un ��tat de notre ame, l�� le m��me ��tat tel que nous en prenons conscience. Et tout le livre, c'est la lutte de Philippe pour se maintenir au milieu des Barbares qui veulent le plier �� leur image.
Notre Moi, en effet, n'est pas immuable; il nous faut le d��fendre chaque jour et chaque jour le cr��er. Voil�� la double v��rit�� sur quoi sont batis ces ouvrages. Le culte du Moi n'est pas de s'accepter tout entier. Cette ��thique, o�� nous avons mis notre ardente et notre unique complaisance, r��clame de ses servants un constant effort. C'est une culture qui se fait par ��laguements et par accroissements: nous avons d'abord �� ��purer notre Moi de toutes les parcelles ��trang��res que la vie continuellement y introduit, et puis �� lui ajouter. Quoi donc? Tout ce qui lui est identique, assimilable; parlons net: tout ce qui se colle �� lui quand il se livre sans r��action aux forces de son instinct.
?Moi, disait Proudhon, se souvenant de son enfance, c'��tait tout ce que je pouvais toucher de la main, atteindre du regard et qui m'��tait bon �� quelque chose; non-moi ��tait tout ce qui pouvait nuire ou r��sister �� moi.? Pour tout ��tre passionn�� qu'emporte son jeune instinct, c'est bien avec cette simplicit�� que le monde se dessine. Proudhon, petit villageois qui se roulait dans les herbages de Bourgogne, ne jouissait pas plus du soleil
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 43
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.