Le culte du moi 1 | Page 5

Maurice Barrès
que j'ai mis dans ces trois volumes, mais non pas de suivre leurs développements. Une vive allure et d'élégants raccourcis toujours me plurent trop pour que je les gate de commentaires superflus?. Qu'il me suffise de renvoyer à une phrase des Barbares, fort essentielle, quelques-uns qui se troublent, disant: ?Bérénice est-elle une petite-fille, ou l'ame populaire, ou l'Inconscient??
Aux premiers feuillets, leur répondais-je, on voit une jeune femme autour d'un jeune homme. N'est-ce pas plut?t l'histoire d'une ame avec ses deux éléments, féminin et male? Ou encore, à c?té du Moi qui se garde, veut se conna?tre et s'affirmer, la fantaisie, le go?t du plaisir, le vagabondage, si vif chez un être jeune et sensible? Que ne peut-on y voir? Je sais seulement que mes troubles m'offrirent cette complexité où je ne trouvais alors rien d'obscur. Ce n'est pas ici une enquête logique sur la transformation de la sensibilité; je restitue sans retouche des visions ou des émotions profondément ressenties. Ainsi, dans le plus touchant des poèmes, dans la Vita nuova, la Béatrice est-elle une amoureuse, l'église ou la Théologie? Dante, qui ne cherchait point cette confusion, y aboutit, parce qu'_à des ames, aux plus sensitives, le vocabulaire commun devient insuffisant. Il vivait dans une surexcitation nerveuse qu'il nommait, selon les heures, désir de savoir, désir d'aimer, désir sans nom,_--et qu'il rendit immortelle par des procédés heureux.
A-t-on remarqué que la femme est la même à travers ces trois volumes, accommodée simplement au milieu? L'ombre élégante et très raisonneuse des premiers chapitres des Barbares, c'est déjà celle qui sera Bérénice; elle est vraiment désignée avec exactitude au chapitre _Aventures d'amour_, dans _l'Homme libre_, quand Philippe l'appelle l'?Objet?. Voilà bien le nom qui lui convient dans tous ses aspects, au cours de ces trois volumes. Elle est, en effet, objectivée, la part sentimentale qu'il y a dans un jeune homme de ce temps.... Et vraiment n'était-il pas temps qu'un conteur accueill?t ce principe, admis par tous les analystes et vérifié par chacun de nous jusqu'au plus profond désenchantement, à savoir que l'amour consiste à vêtir la première venue qui s'y prête un peu des qualités que nous recherchons cette saison-là?
?C'est nous qui créons l'univers,? telle est la vérité qui imprègne chaque page de cette petite oeuvre. De là leurs conclusions: le Moi découvre une harmonie universelle à mesure qu'il prend du monde une conscience plus large et plus sincère. Cela se con?oit, il crée conformément à lui-même; il suffit qu'il existe réellement, qu'il ne soit pas devenu un reflet des Barbares, et dans un univers qui n'est que l'ensemble de ses pensées régnera la belle ordonnance selon laquelle s'adaptent nécessairement les unes aux autres les conceptions d'un cerveau lucide.
Cette harmonie, cette sécurité, c'est la révélation qu'on trouve au _Jardin de Bérénice_, et en vérité y a-t-il contradiction entre cette dernière étape et l'inquiétude du départ _Sous l'oeil des Barbares_? Nullement, c'était acheminement. Avant que le Moi créat l'univers, il lui fallait exister: ses duretés, ses négations, c'était effort pour briser la coquille, pour être.
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II.--PRéTENDU SCEPTICISME
Et maintenant au lecteur informé de reviser ce jugement de scepticisme qu'on porta sur notre oeuvre.
Nul plus que nous ne fut affirmatif. Parmi tant de contradictions que, à notre entrée dans la vie, nous recueillons, nous, jeunes gens informés de toutes les fa?ons de sentir, je ne voulus rien admettre que je ne l'eusse éprouvé en moi-même. L'opinion publique flétrit à bon droit l'hypocrisie. Celle-ci pourtant n'est qu'une concession à l'opinion elle-même, et parfois, quand elle est l'habileté d'un Spinoza ou d'un Renan sacrifiant pour leur sécurité aux dieux de l'empire, bien qu'elle demeure une défaillance du caractère, elle devient excusable pour les qualités de clairvoyance qui la décidèrent. Mais de ce point de vue intellectuel même, comment excuser des déguisés sans le savoir, qui marchent vêtus de fa?ons de sentir qui ne furent jamais les leurs? Ils introduisent le plus grand désordre dans l'humanité; ils contredisent l'inconscient, en se dérobant à jouer le personnage pour lequel de toute éternité ils furent fa?onnés.
écoeuré de cette mascarade et de ces mélanges impurs, nous avons eu la passion d'être sincère et conforme à nos instincts. Nous servons en sectaire la part essentielle de nous-même qui compose notre Moi, nous ha?ssons ces étrangers, ces Barbares, qui l'eussent corrodé. Et cet acte de foi, dont re?urent la formule, par mes soins, tant de lèvres qui ne savaient plus que railler, il me vaudrait qu'on me d?t sceptique! J'entrevois une confusion. Des lecteurs superficiels se seront mépris sur l'ironie, procédé littéraire qui nous est familier.
Vraiment je ne l'employai qu'envers ceux qui vivent, comme dans un mardi-gras perpétuel, sous des formules louées chez le costumier à la mode. Leurs convictions, tous leurs sentiments, ce sont manteaux de cour qui pendent avilis et flasques, non pas sur des reins maladroits, sur des
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