Le culte du moi 1 | Page 4

Maurice Barrès
et du bon air que nous n'avons joui de Balzac et de Fichte dans nos chambres étroites, ouvertes sur le grand Paris, nous autres jeunes bourgeois palis, affamés de tous les bonheurs. Appliquez à l'aspect spirituel des choses ce qu'il dit de l'ordre physique, vous avez l'état de Philippe dans _Sous l'oeil des Barbares_. Les Barbares, voilà le non-moi, c'est-à-dire tout ce qui peut nuire ou résister au Moi.
Cette définition, qui s'illuminera dans _l'Homme libre_ et _le Jardin de Bérénice_, est bien trouble encore au cours de ce premier volume. C'est que la naissance de notre Moi, comme toutes les questions d'origine, se dérobe à notre clairvoyance; et le souvenir confus que nous en conservons ne pouvait s'exprimer que dans la forme ambigu? du symbole. Ces premiers chapitres des ?Barbares?, le _Bonhomme Système_, éducation désolée qu'avant toute expérience nous re??mes de nos ma?tres, _Premières Tendresses_, qui ne sont qu'un baiser sur un miroir, puis _Athéné_, assaillie dans une fa?on de tour d'ivoire par les Barbares, sont la description sincère des couches profondes de ma sensibilité.... Attendez! voici qu'à Milan, devant le sourire du Vinci, le Moi fait sa haute éducation; voici que les Barbares, vus avec une plus large compréhension, deviennent l'adversaire, celui qui contredit, qui divise. Ce sera _l'Homme libre_, ce sera _Bérénice_. Quant à ce premier volume, je le répète, point de départ et assise de la série, il se limite à décrire l'éveil d'un jeune homme à la vie consciente, au milieu de ses livres d'abord, puis parmi les premières brutalités de Paris.
Je le vérifiai à leurs sympathies, ils sont nombreux ceux de vingt ans qui s'acharnent à conquérir et à protéger leur Moi, sous toute l'écume dont l'éducation l'a recouvert et qu'y rejette la vie à chaque heure. Je les vis plus nombreux encore quand, non contents de célébrer la sensibilité qu'ils ont d'eux-mêmes, je leur proposai de la cultiver, d'être des ?hommes libres?, des hommes se possédant en main.
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c.--THèSE D'?UN HOMME LIBRE?
Ce Moi, qui tout à l'heure ne savait même pas s'il pouvait exister, voici qu'il se perfectionne et s'augmente. Ce second volume est le détail des expériences que Philippe institua et de la religion qu'il pratiqua pour se conformer a la loi qu'il se posait d'être ardent et clairvoyant.
Pour parvenir délibérément à l'enthousiasme, je me félicite d'avoir restauré la puissante méthode de Loyola. Ah! que cette mécanique morale, complétée par une bonne connaissance des rapports du physique et du moral (où j'ai suivi Cabanis, quelqu'autre demain utilisera nos hypnotiseurs), saurait rendre de services à un amateur des mouvements de l'ame! Livre tout de volonté et d'aspect desséché comme un recueil de formules, mais si réellement noble! J'y fortifie d'une méthode réfléchie un dessein que j'avais formé d'instinct, et en même temps je l'élève. A Milan, devant le Vinci, Philippe épure sa conception des Barbares; en Lorraine, sa conception du Moi.
Ce ne sont pas des hors-d'oeuvre, ces chapitres sur la Lorraine que tout d'abord le public accueillit avec indulgence, ni ce double chapitre sur Venise, qui m'est peut-être le plus précieux du volume. Ils décrivent les moments où Philippe se comprit comme un instant d'une chose immortelle. Avec une piété sincère, il retrouvait ses origines et il entrevoyait ses possibilités futures. A interroger son Moi dans son accord avec des groupes, Philippe en prit le vrai sens. Il l'aper?ut comme l'effort de l'instinct pour se réaliser. Il comprit aussi qu'il souffrait de s'agiter, sans tradition dans le passé et tout consacré à une oeuvre viagère.
Ainsi, à force de s'étendre, le Moi va se fondre dans l'Inconscient. Non pas y dispara?tre, mais s'agrandir des forces inépuisables de l'humanité, de la vie universelle. De là ce troisième volume, _le Jardin de Bérénice_, une théorie de l'amour, où les producteurs fran?ais qui tapageaient contre Schopenhauer et ne savaient pas reconna?tre en lui l'esprit de notre dix- huitième siècle, pourront varier leurs développements, s'ils distinguent qu'ici l'on a mis Hartmann en action.
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d.--THèSE DU ?JARDIN DE BéRéNICE?
Mais peut-être n'est-il pas superflu d'indiquer que la logique de l'intrigue est aussi serrée que la succession des idées....
A la fin de _Sous l'oeil des Barbares_, Philippe, découragé du contact avec les hommes, aspirait à trouver un ami qui le guidat. Il faut toujours en rabattre de nos rêves: du moins trouva-t-il un camarade qui partagea ses réflexions et ses sensations dans une retraite méthodique et féconde. C'est Simon, ce fameux Simon (de Saint-Germain). Lassé pourtant de cette solitude, de ce dilettantisme contemplatif et de tant d'expériences menues, aux dernières pages d'Un Homme libre, Philippe est prêt pour l'action. _Le Jardin de Bérénice_ raconte une campagne électorale.
Ce que Philippe apprend, et du peuple et de Bérénice qui ne font qu'un, je n'ai pas à le reproduire ici, car je me propose de souligner l'esprit de suite
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