Le comte de Monte-Cristo, Tome III | Page 9

Alexandre Dumas, père
ouvre la main, où il trouve toujours quelque jouet
admirable: M. de Monte-Cristo n'est pas ici chez mon père; M. de
Monte-Cristo n'est pas ici chez Mme de Villefort: M. de Monte-Cristo
est chez lui.
--Eh bien, chère Valentine, si les choses sont ainsi que vous dites, vous
devez déjà ressentir ou vous ressentirez bientôt les effets de sa présence.
Il rencontre Albert de Morcerf en Italie, c'est pour le tirer des mains des
brigands; il aperçoit Mme Danglars, c'est pour lui faire un cadeau royal;
votre belle-mère et votre frère passent devant sa porte, c'est pour que
son Nubien leur sauve la vie. Cet homme a évidemment reçu le pouvoir
d'influer sur les choses. Je n'ai jamais vu des goûts plus simples alliés à
une haute magnificence. Son sourire est si doux, quand il me l'adresse
que j'oublie combien les autres trouvent son sourire amer. Oh!
dites-moi, Valentine, vous a-t-il souri ainsi? S'il l'a fait, vous serez
heureuse.
--Moi! dit la jeune fille, oh! mon Dieu! Maximilien, il ne me regarde
seulement pas, ou plutôt, si je passe par hasard, il détourne la vue de
moi. Oh! il n'est pas généreux, allez! ou il n'a pas ce regard profond qui
lit au fond des coeurs, et que vous lui supposez à tort; car s'il eût été
généreux, me voyant seule et triste au milieu de toute cette maison, il
m'eût protégée de cette influence qu'il exerce; et puisqu'il joue, à ce que
vous prétendez, le rôle de soleil, il eût réchauffé mon coeur à l'un de ses
rayons. Vous dites qu'il vous aime, Maximilien; eh! mon Dieu, qu'en
savez-vous? Les hommes font gracieux visage à un officier de cinq
pieds six pouces comme vous, qui a une longue moustache et un grand
sabre, mais ils croient pouvoir écraser sans crainte une pauvre fille qui

pleure.
--Oh! Valentine! vous vous trompez, je vous jure.
--S'il en était autrement, voyons, Maximilien, s'il me traitait
diplomatiquement, c'est-à-dire en homme qui, d'une façon ou de l'autre,
veut s'impatroniser dans la maison, il m'eût, ne fût-ce qu'une seule fois
honorée de ce sourire que vous me vantez si fort, mais non, il m'a vue
malheureuse, il comprend que je ne puis lui être bonne à rien, et il ne
fait pas même attention à moi. Qui sait même si, pour faire sa cour à
mon père, à Mme de Villefort ou à mon frère, il ne me persécutera
point aussi en tant qu'il sera en son pouvoir de le faire? Voyons,
franchement, je ne suis pas une femme que l'on doive mépriser ainsi
sans raison; vous me l'avez dit. Ah! pardonnez-moi, continua la jeune
fille en voyant l'impression que ces paroles produisaient sur
Maximilien, je suis mauvaise, et je vous dis là sur cet homme des
choses que je ne savais pas même avoir dans le coeur. Tenez, je ne nie
pas que cette influence dont vous me parlez existe, et qu'il ne l'exerce
même sur moi; mais s'il l'exerce, c'est d'une manière nuisible et
corruptrice, comme vous le voyez, de bonnes pensées.
--C'est bien, Valentine, dit Morrel avec un soupir, n'en parlons plus; je
ne lui dirai rien.
--Hélas! mon ami, dit Valentine, je vous afflige, je le vois. Oh! que ne
puis-je vous serrer la main pour vous demander pardon! Mais enfin je
ne demande pas mieux que d'être convaincue; dites, qu'a donc fait pour
vous ce comte de Monte-Cristo?
--Vous m'embarrassez fort, je l'avoue, Valentine, en me demandant ce
que le comte a fait pour moi: rien d'ostensible, je le sais bien. Aussi,
comme je vous l'ai déjà dit, mon affection pour lui est-elle tout
instinctive et n'a-t-elle rien de raisonné. Est-ce que le soleil m'a fait
quelque chose? Non; il me réchauffe, et à sa lumière je vous vois, voilà
tout. Est-ce que tel ou tel parfum a fait quelque chose pour moi? Non;
son odeur récrée agréablement un de mes sens. Je n'ai pas autre chose à
dire quand on me demande pourquoi je vante ce parfum, mon amitié
pour lui est étrange comme la sienne pour moi. Une voix secrète

m'avertit qu'il y a plus que du hasard dans cette amitié imprévue et
réciproque. Je trouve de la corrélation jusque dans ses plus simples
actions, jusque dans ses plus secrètes pensées entre mes actions et mes
pensées. Vous allez encore rire de moi, Valentine, mais depuis que je
connais cet homme, l'idée absurde m'est venue que tout ce qui m'arrive
de bien émane de lui. Cependant, j'ai vécu trente ans sans avoir eu
besoin de ce protecteur, n'est-ce pas? n'importe, tenez, un exemple: il
m'a invité à dîner pour samedi, c'est naturel au point où nous en
sommes, n'est-ce pas? Eh bien, qu'ai-je su depuis? Votre père est invité
à ce dîner, votre mère y viendra. Je me rencontrerai avec
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