Le comte de Monte-Cristo, Tome III | Page 7

Alexandre Dumas, père
qu'entre vous vous êtes bien justes les unes envers les
autres!
--Parce que, presque toujours, il y a de la passion dans nos jugements.
Mais revenez à votre question.
--Est-ce parce que Mlle Danglars aime quelqu'un qu'elle redoute son
mariage avec M. de Morcerf?
--Maximilien, je vous ai dit que je n'étais pas l'amie d'Eugénie.
--Eh! mon Dieu! dit Morrel, sans être amies, les jeunes filles se font des
confidences; convenez que vous lui avez fait quelques questions
là-dessus. Ah! je vous vois sourire.
--S'il en est ainsi, Maximilien, ce n'est pas la peine que nous ayons
entre nous cette cloison de planches.
--Voyons, que vous a-t-elle dit?
--Elle m'a dit qu'elle n'aimait personne, dit Valentine; qu'elle avait le
mariage en horreur; que sa plus grande joie eût été de mener une vie
libre et indépendante, et qu'elle désirait presque que son père perdît sa
fortune pour se faire artiste comme son amie, Mlle Louise d'Armilly.
--Ah! vous voyez!
--Eh bien, qu'est-ce que cela prouve? demanda Valentine.
--Rien, répondit en souriant Maximilien.
--Alors, dit Valentine, pourquoi souriez-vous à votre tour?
--Ah! dit Maximilien, vous voyez bien que, vous aussi, vous regardez,
Valentine.

--Voulez-vous que je m'éloigne?
--Oh! non! non pas! Mais revenons à vous.
--Ah! oui, c'est vrai, car à peine avons-nous dix minutes à passer
ensemble.
--Mon Dieu! s'écria Maximilien consterné.
--Oui, Maximilien, vous avez raison, dit avec mélancolie Valentine, et
vous avez là une pauvre amie. Quelle existence je vous fais passer,
pauvre Maximilien, vous si bien fait pour être heureux! Je me le
reproche amèrement, croyez-moi.
--Eh bien, que vous importe, Valentine: si je me trouve heureux ainsi;
si cette attente éternelle me semble payée, à moi, par cinq minutes de
votre vue, par deux mots de votre bouche, et par cette conviction
profonde, éternelle, que Dieu n'a pas créé deux coeurs aussi en
harmonie que les nôtres, et ne les a pas presque miraculeusement réunis,
surtout pour les séparer.
--Bon, merci, espérez pour nous deux, Maximilien: cela me rend à
moitié heureuse.
--Que vous arrive-t-il donc encore, Valentine, que vous me quittez si
vite?
--Je ne sais; Mme de Villefort m'a fait prier de passer chez elle pour
une communication de laquelle dépend, m'a-t-elle fait dire, une portion
de ma fortune. Eh! mon Dieu, qu'ils la prennent ma fortune, je suis trop
riche, et qu'après me l'avoir prise ils me laissent tranquille et libre; vous
m'aimerez tout autant pauvre, n'est-ce pas, Morrel?
--Oh! je vous aimerai toujours, moi; que m'importe richesse ou
pauvreté, si ma Valentine était près de moi et que je fusse sûr que
personne ne me la pût ôter! Mais cette communication, Valentine, ne
craignez-vous point que ce ne soit quelque nouvelle relative à votre
mariage?

--Je ne le crois pas.
--Cependant, écoutez-moi, Valentine, et ne vous effrayez pas, car tant
que je vivrai je ne serai pas à une autre.
--Vous croyez me rassurer en me disant cela, Maximilien?
--Pardon! vous avez raison, je suis un brutal. Eh bien, je voulais donc
vous dire que l'autre jour j'ai rencontré M. de Morcerf.
--Eh bien?
--M. Franz est son ami, comme vous savez.
--Oui; eh bien?
--Eh bien, il a reçu une lettre de Franz, qui lui annonce son prochain
retour.»
Valentine pâlit et appuya sa main contre la grille.
«Ah! mon Dieu! dit-elle, si c'était cela! Mais non, la communication ne
viendrait pas de Mme de Villefort.
--Pourquoi cela?
--Pourquoi... je n'en sais rien... mais il me semble que Mme de Villefort,
tout en ne s'y opposant point franchement, n'est pas sympathique à ce
mariage.
--Eh bien, mais, Valentine, il me semble que je vais l'adorer, Mme de
Villefort.
--Oh! ne vous pressez pas, Maximilien, dit Valentine avec un triste
sourire.
--Enfin, si elle est antipathique à ce mariage, ne fût-ce que pour le
rompre, peut-être ouvrirait-elle l'oreille à quelque autre proposition.

--Ne croyez point cela, Maximilien; ce ne sont point les maris que
Mme de Villefort repousse, c'est le mariage.
--Comment? le mariage! Si elle déteste si fort le mariage, pourquoi
s'est-elle mariée elle-même?
--Vous ne me comprenez pas, Maximilien; ainsi, lorsqu'il y a un an j'ai
parlé de me retirer dans un couvent, elle avait, malgré les observations
qu'elle avait cru devoir faire, adopté ma proposition avec joie; mon père
même y avait consenti, à son instigation, j'en suis sûre; il n'y eut que
mon pauvre grand-père qui m'a retenue. Vous ne pouvez vous figurer,
Maximilien, quelle expression il y a dans les yeux de ce pauvre
vieillard, qui n'aime que moi au monde, et qui, Dieu me pardonne si
c'est un blasphème, et qui n'est aimé au monde que de moi. Si vous
saviez, quand il a appris ma résolution, comme il m'a regardée, ce qu'il
y avait de reproche dans ce regard et de désespoir dans ces larmes qui
roulaient sans
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