Le chevalier dHarmental | Page 8

Alexandre Dumas, père
votre mère.
Ravanne, quelle que f?t sa présence d'esprit, ne trouva rien à répondre au capitaine; il se contenta de le saluer, et s'approcha de Lafare, qui lui parut le plus malade des deux blessés.
Quant à d'Harmental, à Valef et au capitaine, ils gagnèrent l'allée où ils retrouvèrent le carrosse de louage, et dans le carrosse le chirurgien qui faisait un somme. D'Harmental le réveilla et lui annon?a, en lui montrant le chemin qu'il devait suivre, que le marquis de Lafare et le comte de Fargy avaient besoin de ses services. Il ordonna en outre à son valet de descendre de cheval et de suivre le chirurgien, afin de lui servir d'aide; puis, se retournant vers le capitaine:
--Capitaine, lui dit-il, je crois qu'il ne serait pas prudent d'aller manger le déjeuner que nous avions commandé; recevez donc tous mes remerciements pour le coup de main que vous m'avez donné, et, en souvenir de moi, comme vous êtes à pied, à ce qu'il me para?t, veuillez accepter un de mes deux chevaux. Vous pouvez prendre au hasard: ce sont de bonnes bêtes; la plus mauvaise des deux ne vous laissera pas dans l'embarras quand vous n'aurez besoin que de lui faire faire huit à dix lieues en une heure.
--Ma foi! chevalier, répondit le capitaine en jetant de c?té un regard sur le cheval qui lui était offert si généreusement, il ne fallait rien pour cela; entre gentilshommes, le sang et la bourse sont choses qui se prêtent tous les jours. Mais vous faites les choses de si bonne grace que je ne saurais vous refuser. Si vous aviez jamais besoin de moi pour quelque chose que ce f?t, souvenez-vous, en revanche, que je suis à votre service.
--Et le cas échéant, monsieur, où vous retrouverai-je? demanda en souriant d'Harmental.
--Je n'ai pas de domicile bien arrêté, chevalier; mais vous aurez toujours de mes nouvelles en allant chez la Fillon, en demandant la Normande, et en vous informant à elle du capitaine Roquefinette.
Et comme les deux jeunes gens remontaient chacun sur son cheval le capitaine en fit autant, non sans remarquer en lui-même que le chevalier d'Harmental lui avait laissé le plus beau des trois.
Alors, comme ils étaient près d'un carrefour, chacun prit sa route et s'éloigna au grand galop.
Le baron de Valef rentra par la barrière de Passy et se rendit droit à l'Arsenal, prit les commissions de la duchesse du Maine, de la maison de laquelle il était, et partit le même jour pour l'Espagne.
Le capitaine Roquefinette fit trois ou quatre tours au pas, au trot et au galop dans le bois de Boulogne, afin d'apprécier les différentes qualités de sa monture, et ayant reconnu que c'était, comme l'avait dit le chevalier, un animal de belle et bonne race, il revint fort satisfait chez ma?tre Durand, où il mangea à lui seul le déjeuner qui était commandé pour trois.
Le même jour, il conduisit son cheval au marché aux chevaux, et le vendit soixante louis. C'était la moitié de ce qu'il valait, mais il faut savoir faire des sacrifices quand on veut réaliser promptement.
Quant au chevalier d'Harmental, il prit l'allée de la Muette, regagna Paris par la grande avenue des Champs-élysées, et trouva en rentrant chez lui, rue de Richelieu, deux lettres qui l'attendaient.
L'une de ces deux lettres était d'une écriture si bien connue à lui qu'il tressaillit de tout son corps en la regardant, et qu'après y avoir porté la main avec la même hésitation que s'il allait toucher un charbon ardent, il l'ouvrit avec un tremblement qui décelait l'importance qu'il y attachait. Elle contenait ce qui suit:
?Mon cher chevalier,
On n'est pas ma?tre de son coeur, vous le savez, et c'est une des misères de notre nature que de ne pouvoir longtemps aimer ni la même personne ni la même chose. Quant à moi je veux au moins avoir sur les autres femmes le mérite de ne pas tromper celui qui a été mon amant. Ne venez donc pas à votre heure accoutumée car on vous dirait que je n'y suis pas, et je suis si bonne que je ne voudrais pas risquer l'ame d'un valet ou d'une femme de chambre en leur faisant faire un si gros mensonge.
Adieu, mon cher chevalier; ne gardez point de moi un trop mauvais souvenir, et faites que je pense encore de vous dans dix ans ce que j'en pense à cette heure, c'est-à-dire que vous êtes un des plus galants gentilshommes de France.
Sophie d'Averne.?
--Mordieu! s'écria d'Harmental en frappant du poing sur une charmante table de Boulle qu'il mit en morceaux, si j'avais tué ce pauvre Lafare, je ne m'en serais consolé de ma vie!
Après cette explosion, qui le soulagea quelque peu, le chevalier se mit à marcher de sa porte à sa fenêtre d'un air qui prouvait que le pauvre gar?on avait encore besoin de quelques
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