Le chevalier dHarmental | Page 3

Alexandre Dumas, père
pour savoir si la chose vaut la peine que je le tue.
--C'est trop juste, capitaine, répondit le baron. Voici les faits tels qu'ils se sont passés. Nous soupions hier soir chez la Fillon. Il n'est pas que vous ne connaissiez la Fillon, capitaine?
--Pardieu! c'est moi qui l'ai lancée dans le monde, en 1705, avant mes campagnes d'Italie.
--Eh bien! répondit en riant le baron, vous pouvez vous vanter, capitaine, d'avoir formé là une élève qui vous fait honneur! Bref, nous soupions donc chez elle tête à tête avec d'Harmental.
--Sans aucune créature du beau sexe? demanda le capitaine.
--Oh! mon Dieu! oui. Il faut vous dire que d'Harmental est une espèce de trappiste, n'allant chez la Fillon que de peur de passer pour n'y point aller, n'aimant qu'une femme à la fois, et amoureux pour le quart d'heure de la petite d'Averne, la femme du lieutenant aux gardes.
--Très bien.
--Nous étions donc là parlant de nos affaires, lorsque nous entend?mes une joyeuse société qui entrait dans le cabinet à c?té du n?tre. Comme ce que nous avions à nous dire ne regardait personne, nous f?mes silence et ce fut nous qui, sans le vouloir, écoutames la conversation de nos voisins. Or, voyez ce que c'est que le hasard! nos voisins parlaient justement de la seule chose qu'il aurait fallu que nous n'entendissions pas.
--De la ma?tresse du chevalier, peut-être?
--Vous l'avez dit. Aux premiers mots qui m'arrivèrent de leurs discours, je me levai pour emmener Raoul; mais, au lieu de me suivre, il me mit la main sur l'épaule et me fit rasseoir.
--Ainsi donc, disait une voix, Philippe en tient pour la petite d'Averne?
--Depuis la fête de la maréchale d'Estrées, où, déguisée en Vénus, elle lui a donné un ceinturon d'épée accompagné de vers où elle le comparait à Mars.
--Mais il y a déjà huit jours, dit une troisième voix.
--Oui, répondit la première. Oh! elle a fait une espèce de défense, soit qu'elle t?nt véritablement à ce pauvre d'Harmental, soit qu'elle s?t que le régent n'aime que ce qui lui résiste. Enfin, ce matin, en échange d'une corbeille pleine de fleurs et de pierreries, elle a bien voulu répondre qu'elle recevrait ce soir Son Altesse:
--Ah! ah! dit le capitaine, je commence à comprendre. Le chevalier s'est faché?
--Justement; au lieu d'en rire, comme nous aurions fait vous ou moi, du moins je l'espère, et de profiter de cette circonstance pour se faire rendre son brevet de colonel, qu'on lui a ?té sous le prétexte de faire des économies, d'Harmental devint si pale que je crus qu'il allait s'évanouir. Puis, s'approchant de la cloison et frappant du poing pour qu'on f?t silence:
--Messieurs, dit-il, je suis faché de vous contredire, mais celui de vous qui a avancé que madame d'Averne avait accordé un rendez-vous au régent, ou à tout autre, en a menti.
--C'est moi, monsieur, qui ait dit la chose et qui la soutiens, répondit la première voix; et s'il y a en elle quelque chose qui vous déplaise, je me nomme Lafare, capitaine aux gardes.
--Et moi, Fargy, dit la seconde voix.
--Et moi, Ravanne, dit la troisième voix.
--Très bien, messieurs, reprit d'Harmental. Demain, de neuf heures à neuf heures et demie, à la porte Maillot. Et il vint se rasseoir en face de moi. Ces messieurs parlèrent d'autre chose, et nous achevames notre souper. Voilà toute l'affaire, capitaine, et vous en savez maintenant autant que moi.
Le capitaine fit entendre une espèce d'exclamation qui voulait dire: Tout cela n'est pas bien grave, mais, malgré cette demi-désapprobation de la susceptibilité du chevalier, il n'en résolut pas moins de soutenir de son mieux la cause dont il était devenu si inopinément le champion, quelque défectueuse que cette cause lui par?t dans son principe. D'ailleurs, en e?t-il eu l'intention, il était trop tard pour reculer. On était arrivé à la porte Maillot, et un jeune cavalier, qui paraissait attendre, et qui avait aper?u de loin le baron et le capitaine, venait de mettre son cheval au galop, et s'approchait rapidement. C'était le chevalier d'Harmental.
--Mon cher chevalier, dit le baron de Valef en échangeant avec lui une poignée de main, permets qu'à défaut d'un ancien ami, je t'en présente un nouveau. Ni Surgis ni Gacé, n'étaient à la maison; j'ai fait rencontre de monsieur sur le pont Neuf, je lui ai exposé notre embarras et il s'est offert à nous en tirer avec une merveilleuse grace.
--C'est donc une double reconnaissance que je te dois, mon cher Valef, répondit le chevalier en jetant sur le capitaine un regard dans lequel per?ait une légère nuance d'étonnement, et à vous, monsieur, continua-t-il, des excuses de ce que je vous jette ainsi tout d'abord et pour faire connaissance dans une si méchante affaire; mais vous m'offrirez un jour ou l'autre l'occasion de prendre ma revanche, je l'espère, et je vous prie, le cas échéant, de disposer de moi
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 205
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.