Le chasseur noir | Page 4

Émile Chevalier

communs, cherchent le pittoresque et le hardi comme sujet
d'inspiration.
Cependant cet homme--quel qu'il fut--avait indubitablement affronté
d'un air calme les vicissitudes de la vie, et appris à supporter avec une
patience philosophique les infortunes qui ne pouvaient être écartées.
Dans sa physionomie, un je ne sais quoi indiquait qu'il était incapable
de rester en repos. Donnez-lui montagnes, prairies, forêts et rivières,
gardez-le loin des villes, loin du séjour des civilisés et il sera chez lui,
quoique ses immenses territoires de campement puissent être à des
centaines de milles de distance!
Un son caverneux monta aux oreilles du chasseur. Il était comme

produit par des sabots d'animaux non ferrés. Immédiatement, les
instincts de notre homme furent en éveil.
Il descendit du faîte raboteux de la montagne jusqu'à ce qu'il pût mieux
découvrir les différents points de la vallée. Puis, se postant derrière un
arbre, il chercha la cause du bruit qu'il avait entendu. Bientôt elle lui fut
connue. Cinq cavaliers apparurent à la lisière d'un bouquet d'arbres.
Ils cheminaient vers l'endroit où le chasseur était en observation.
Quatre d'entr'eux étaient des indigènes, mais le cinquième était un
blanc captif.
A mesure qu'ils avancèrent, le chasseur étudia l'extérieur des cavaliers
et du prisonnier.
C'était un homme d'âge mûr.
Il appartenait vraisemblablement à la classe vagabonde de ces
francs-trappeurs[4] qui fraternisent également avec les races blanches
et les races rouges.
[Note 4: Dans le désert américain, on appelle francs-trappeurs les
aventuriers qui n'appartiennent pas aux grandes compagnies de
pelleteries. Pour elles ce sont des contrebandiers.]
On voyait bien qu'il n'avait pas été pris sans lutte; car, pour ne point
parler d'une blessure à son visage, sa camisole de chasse était toute
déchirée et souillée de sang et de boue. Le casque[5] de fourrure que
portent ordinairement les gens de cette espèce lui manquait aussi. Sans
doute il l'avait perdu dans le conflit qui avait précédé sa capture. Ses
cheveux longs, ébouriffés, tombaient par touffes épaisses sur son visage
dont elles rehaussaient l'expression morose et rechignée.
[Note 5: Ce terme, essentiellement canadien-français sert à désigner un
bonnet de pelleterie.]
Il avait les mains garrottées derrière le dos, et serrées avec une violence
qui pouvait lui donner un avant-goût des tortures qu'il aurait à souffrir

quand ses bourreaux seraient arrivés à leur camp ou à leur village. Pour
plus de sûreté, on l'avait lié sur son cheval avec de fortes lanières de
peau de buffle[6], attachées à ses chevilles et passées sous le ventre de
l'animal.
[Note 6: Les gens du désert américain s'obstinent à dire buffle et non
bison.]
Il était facile de s'apercevoir que cette situation ne plaisait pas fort au
captif; et la tristesse avec laquelle il supportait ses revers indiquait que
la patience ne comptait point parmi ses vertus capitales.
Deux des vainqueurs marchaient devant lui, un derrière. Le plus
important personnage chevauchait en tête de la troupe.
C'était sûrement un guerrier de distinction. Son visage et ses membres
nus étaient peints à la façon indienne. Des bandes de couleur,
alternativement noire, blanche et rouge, couraient sur ses joues, son cou
et sa poitrine. Sept plumes d'aigle ornaient sa tête, ce qui annonçait
qu'il appartenait à une caste très-élevée, chaque plume représentant une
chevelure qu'il avait prise. A cet égard, il jouissait d'une supériorité
enviable sur ses trois compagnons dont nul ne pouvait se vanter de plus
de quatre de ces symboles, tandis que l'un d'eux n'en déployait que
deux.
Le soleil allait se coucher. Les rayons de son disque de feu inondaient
de lumière la petite cavalcade qui gravissait en silence le flanc de la
montagne.
--Ah! la liberté, murmura le trappeur, c'est une fichue bonne chose,
surtout quand il fait beau temps et que la nature a bonne mine. Mais
voilà un pauvre diable qui s'est fourré dans une maudite petite difficulté!
Ces vermines-là vont vous le mener à leur village et le brûler ni plus ni
moins que si c'était un Hottentot. Il n'est pas avenant, ô Dieu, non! Il a
un faux air de chien enragé qui ne me va pas, c'est vrai; mais je ne puis
me faire à l'idée qu'il passera l'arme à gauche avant que son temps ne
soit venu.

Un bruissement fit tourner la tête au chasseur qui se trouva face à face
avec un jeune garçon de treize à quatorze ans arrivé près de lui sans
qu'il s'en doutât.
Ce garçon était fort beau, et tous ses mouvements étaient empreints
d'une grâce adorable.
Ses yeux grands et rêveurs impressionnaient singulièrement; son teint
bruni, mais relevé sur les joues par une légère teinte rosée, disait qu'il
était métis ou bois-brûlé pour nous servir de la locution indigène.
Des boucles de cheveux noirs comme le jais jouaient autour de son cou
sur des épaules d'un galbe exquis. Un léger capot[7] de peau de daim,
élégamment frangé
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