Le capitaine Paul | Page 4

Alexandre Dumas, père
plus de relache qu'il n'e?t vu le jour, et je m'abandonnai �� ce charme amer de la gestation...
Ah! voil�� ce que les artistes seuls peuvent dire, c'est tout ce qu'il y a de charme, lorsque, po��te ou peintre, on voit sa pens��e rev��tir une forme, et le r��ve peu �� peu prendre la consistance de la r��alit��.
Voyez-vous le soleil qui se l��ve derri��re une cha?ne des Alpes ou des Pyr��n��es? D'abord, c'est une lueur rose, �� peine visible, s'infiltrant dans l'atmosph��re grisatre du matin, qu'elle colore d'une imperceptible teinte, et sur laquelle se d��coupe la silhouette dentel��e et gigantesque des montagnes.
Peu �� peu, cette teinte grandit, les sommets les plus ��lev��s se colorent; vous les voyez, flamboyants, dominer les autres comme des volcans, puis des rayons s'��lancent dans les cieux, pareils �� autant de fus��es d'or; les pics inf��rieurs commencent �� participer �� cette lumi��re, qui monte si rapidement que les anciens repr��sentaient le soleil apparaissant aux portes de l'Orient, sur un char tra?n�� par quatre chevaux fougueux; l'oc��an de flammes submerge ces sommets qui semblaient vouloir l'arr��ter comme une digue.
Enfin, voici le jour: mar��e ruisselante, qui s'��panche par torrents aux flancs de la cha?ne sombre, et qui peu �� peu p��n��tre et illumine jusqu'�� la myst��rieuse profondeur des vall��es o�� l'on aurait cru que jamais ne p��n��trerait un rayon de lumi��re.
C'est ainsi que, s'��claire et se dessine l'oeuvre dans le cerveau du po��te.
Quand j'arrivai �� Messine, mon drame du Capitaine Paul ��tait fait; il ne me restait plus qu'�� l'��crire.
Je comptais l'��crire �� Naples; car j'��tais en retard. La Sicile m'avait retenu comme une de ces ?les magiques dont parle le vieil Hom��re.
Que nous fallait-il pour regagner la ville des d��lices -- la ville qu'il faut voir avant de mourir? -- Trois jours et un bon vent.
Je donnai l'ordre au capitaine d'appareiller le lendemain matin, et de mettre le cap droit sur Naples.
Le capitaine consulta le vent, regarda le nord, ��changea quelques mots �� voix basse avec le pilote, et r��pondit:
-- On fera ce que l'on pourra, Excellence.
-- Comment! on fera ce que l'on pourra, cher ami? Il me semble qu'il y a l��-dessous un sens cach��.
-- Dame! fit le capitaine.
-- Voyons, voyons, expliquons-nous tout de suite.
-- Oh! l'explication sera courte, Excellence.
-- Abordons-la franchement, alors.
-- Eh bien, le vieux ainsi qu'on appelait le pilote -- le vieux dit que le temps va changer et que nous aurons le vent contraire pour sortir du d��troit.
Nous ��tions �� l'ancre, en face de San-Giovanni.
-- Ah! diable! fis-je, le temps va changer, et nous aurons le vent contraire; est-ce bien s?r, capitaine?
-- C'est bien s?r, oui, Excellence.
-- Et, lorsque ce vent souffle, capitaine, a-t-il la mauvaise habitude de souffler longtemps?
-- Plus ou moins.
-- Quel est son moins?
-- Trois ou quatre jours.
-- Et son plus?
-- Huit ou dix.
-- Et, quand il souffle, impossible de sortir du d��troit?
-- Impossible.
-- Et �� quelle heure le vent soufflera-t-il?
-- Eh! vieux? dit le capitaine.
-- Pr��sent! dit Nunzio en se levant derri��re la cabine.
-- Son Excellence demande pour quelle heure le vent?
Nunzio se retourna, consulta jusqu'au plus petit nuage du ciel, et, se retournant vers nous:
-- Capitaine, dit-il, ce sera pour ce soir entre huit et neuf heures, un instant apr��s que le soleil sera couch��.
-- Ce sera pour ce soir, entre huit et neuf, un instant apr��s que le soleil sera couch��, r��p��ta le capitaine avec la m��me assurance que si c'e?t ��t�� Mathieu Laensberg ou Nostradamus qui lui e?t r��pondu.
-- Mais alors, demandai-je au capitaine, ne pourrait-on sortir tout de suite? Nous nous trouverions alors en pleine mer, et pourvu que nous arrivions au Pizzo, c'est tout ce que je demande...
-- Si vous le voulez absolument, r��pondit le pilote, on tachera.
-- Eh bien, mon cher Nunzio tachez donc, alors.
-- Allons, allons, dit le capitaine, on part... Chacun son poste!
Empruntons �� mon journal de voyage les d��tails qui vont suivre; il y a tant?t vingt ans que les choses racont��es �� cette heure par moi se sont pass��es. J'aurais oubli�� peut-��tre; mon journal, au contraire, a une m��moire inflexible et se souvient du plus petit d��tail:
?En un instant, sur l'ordre du capitaine et sans faire une seule observation, tout le monde fut �� la besogne: l'ancre fut lev��e et le batiment, tournant lentement son beaupr�� vers le cap Pelore, commen?a de se mouvoir sous l'effort de quatre avirons; quant aux voiles, il n'y fallait pas songer, pas un souffle de vent ne traversait l'espace...
?Comme cette disposition atmosph��rique me portait naturellement au sommeil, et que j'avais si longtemps vu et si souvent revu le double rivage de la Sicile et de la Calabre, que je n'avais plus grande curiosit�� pour l'un ni pour l'autre, je laissai Jadin fumant sa pipe sur le pont, et j'allai me coucher.
?Je dormais depuis trois ou quatre heures, �� peu pr��s, et, tout en
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