le
lendemain une lettre imprimée. Ce double emploi avait pour but de me
rappeler la tenue de rigueur, les invités ne devant être admis qu'en robe
de chambre et pantoufles. Je fus exact à l'heure et fidèle à l'uniforme.
C'est une curieuse chose à voir, que l'atelier d'un peintre, lorsqu'il a
coquettement pendu à ses quatre murailles, pour faire honneur aux
invités, ses joyaux des grands jours, fournis par les quatre parties du
monde. Vous croyez entrer dans la demeure d'un artiste, et vous vous
trouvez au milieu d'un musée qui ferait honneur à plus d'une ville
préfectorale de France. Ces armures, qui représentent l'Europe au
Moyen Âge, datent de divers règnes et trahissent, par leur forme,
l'époque de leur fabrication. Celle-ci, brunie sur les deux côtés de la
poitrine, avec son arête aiguë et brillante et son crucifix gravé, aux
pieds duquel est une Vierge en prière avec cette légende: Mater Dei,
ora pro nobis, a été forgée en France et offerte au roi Louis XI, qui la
fit appendre aux murs de son vieux château de Plessis-les-Tours.
Celle-là, dont la poitrine bombée porte encore la marque des coups de
masse dont elle a garanti son maître, a été bosselée dans les tournois de
l'empereur Maximilien, et nous arrive d'Allemagne. Cette autre, qui
représente en relief les robustes travaux d'Hercule, a peut-être été
portée par le roi François Ier, et sort certainement des ateliers florentins
de Benvenuto Cellini. Ce tomahawk canadien et ce couteau à scalper
viennent d'Amérique: l'un a brisé des têtes françaises et l'autre enlevé
des chevelures parfumées. Ces flèches et ce krid sont indiens; le fer des
unes et la lame de l'autre sont mortels, car ils ont été empoisonnés dans
le suc des herbes de Java. Ce sabre recourbé a été trempé à Damas. Ce
yatagan, qui porte sur sa lame autant de crans qu'il a coupé de têtes, a
été arraché aux mains mourantes d'un Bédouin. Enfin, ce long fusil à la
crosse et aux capucines d'argent, a été rapporté de la Casaubah par
Isabey peut-être, qui l'aura troqué avec Yousouf contre un croquis de la
rade d'Alger ou un dessin du fort l'Empereur.
Maintenant que nous avons examiné, les uns après les autres, ces
trophées dont chacun représente un monde, jetez les yeux sur ces tables
où sont épars, pêle-mêle, mille objets différents, étonnés de se trouver
réunis. Voici des porcelaines du Japon, des figurines égyptiennes, des
couteaux espagnols, des poignards turcs, des stylets italiens, des
pantoufles algériennes, des calottes de Circassie, des idoles du Gange,
des cristaux des Alpes. Regardez: il y en a pour un jour.
Sous vos pieds, ce sont des peaux de tigre, de lion, de léopard, enlevées
à l'Asie et à l'Afrique; sur vos têtes, les ailes étendues et comme douées
de la vie, voilà le goéland, qui, au moment où la vague se courbe pour
retomber, passe sous sa voûte comme sous une arche; le margat, qui,
lorsqu'il voit apparaître un poisson à la surface de l'eau, plie ses ailes et
se laisse tomber sur lui comme une pierre; le guillemot, qui, au moment
où le fusil du chasseur se dirige contre lui, plonge, pour ne reparaître
qu'à une distance qui le met hors de sa portée; enfin le martin-pêcheur,
cet alcyon des anciens, sur le plumage duquel étincellent les couleurs
les plus vives de l'aigue marine et du lapis-lazuli.
Mais ce qui, un soir de réception chez un peintre, est surtout digne de
fixer l'attention d'un amateur, c'est la collection hétérogène de pipes
toutes bourrées qui attendent, comme l'homme de Prométhée, qu'on
dérobe pour elle le feu du ciel. Car, afin que vous le sachiez, rien n'est
plus fantasque et plus capricieux que l'esprit des fumeurs. L'un préfère
la simple pipe de terre, à laquelle nos vieux grognards ont donné le
nom expressif de brûle-gueule; celle-là se charge tout simplement avec
le tabac de la régie, dit tabac de caporal. L'autre ne peut approcher de
ses lèvres délicates que le bout ambré de la chibouque arabe, et celle-là
se bourre avec le tabac noir d'Alger ou le tabac vert de Tunis. Celui-ci,
grave comme un chef de Cooper, tire méthodiquement du calumet
pacifique des bouffées de maryland; celui-là, plus sensuel qu'un nabab,
tourne comme un serpent autour de son bras le tuyau flexible de son
hucca indien, qui ne laisse arriver à sa bouche la vapeur du latakieh que
refroidie et parfumée de rose et de benjoin. Il y en a qui, dans leurs
habitudes, préfèrent la pipe d'écume de l'étudiant allemand, et le
vigoureux cigare belge haché menu, au narghilé turc, chanté par
Lamartine, et au tabac du Sinaï, dont la réputation hausse et baisse
selon qu'il a été récolté sur la montagne ou dans la plaine. D'autres sont
enfin qui, par originalité ou par caprice, se
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