Le capitaine Pamphile | Page 6

Alexandre Dumas, père
au plus fort, mais au plus effronté. Tom desserra les dents, et Jacques, possesseur de la bienheureuse carotte, s'élan?a sur une échelle, emportant le prix du combat, qu'il alla cacher derrière un platre de Malagutti, sur un rayon fixé à six pieds de terre; cette opération finie, il descendit plus tranquillement, certain qu'il n'y avait ni ours ni tortue capables de l'aller dénicher là.
Arrivé au dernier échelon, et lorsqu'il s'agit de remettre pied à terre, il s'arrêta prudemment, et, jetant les yeux sur Gazelle, qu'il avait oubliée dans la chaleur de sa dispute avec Tom, il s'aper?ut qu'elle se trouvait dans une position qui n'était rien moins qu'offensive.
En effet, Tom, au lieu de la replacer avec soin dans la situation où il l'avait prise, l'avait, comme nous l'avons dit, négligemment laissée tomber à tout hasard, de sorte qu'en reprenant ses sens, la malheureuse bête, au lieu de se retrouver dans sa situation normale, c'est-à-dire sur le ventre, s'était retrouvée sur le dos, position, comme chacun le sait, antipathique au suprême degré à tout individu faisant partie de la race des chéloniens.
Il fut facile de voir à l'expression de confiance avec laquelle Jacques s'approcha de Gazelle, qu'il avait jugé au premier abord que son accident la mettait hors d'état de faire aucune défense. Cependant, arrivé à un demi-pied du monstrum horrendum, il s'arrêta un instant, regarda dans l'ouverture tournée de son c?té, et se mit, sous un air de négligence apparente, à en faire le tour avec précaution, l'examinant à peu près comme un général fait d'une ville qu'il veut assiéger. Cette reconnaissance achevée, il allongea la main doucement, toucha du bout du doigt l'extrémité de l'écaille; puis aussit?t, se rejetant lestement en arrière, il se mit, sans perdre de vue l'objet qui le préoccupait, à danser joyeusement sur ses pieds et ses mains, accompagnant ce mouvement d'une espèce de chant de victoire qui lui était habituel toutes les fois que, par une difficulté vaincue ou un péril affronté, il croyait avoir à se féliciter de son habileté ou de son courage.
Cependant cette danse et ce chant s'interrompirent soudainement; une idée nouvelle traversa le cerveau de Jacques, et parut absorber toutes ses facultés pensantes. Il regarda attentivement la tortue, à laquelle sa main, en la touchant, avait imprimé un mouvement d'oscillation que rendait plus prolongé la forme sphérique de son écaille, s'en approcha, marchant de c?té comme un crabe; puis, arrivé près d'elle, se leva sur ses pieds de derrière, l'enjamba comme fait un cavalier de son cheval, la regarda un instant se mouvoir entre ses deux jambes; enfin, complètement rassuré, à ce qu'il para?t, par l'examen approfondi qu'il venait d'en faire, il s'assit sur ce siège mobile, et lui imprimant, sans cependant que ses pieds quittassent la terre, un mouvement rapide d'oscillation, il se balan?a joyeusement, se grattant le c?té et clignant les yeux, gestes qui, pour ceux qui le connaissent, étaient l'expression d'une joie indéfinissable.
Tout à coup Jacques poussa un cri per?ant, fit un bond perpendiculaire de trois pieds, retomba sur les reins, et s'élan?ant sur son échelle, alla se réfugier derrière la tête de Malagutti. Cette révolution était causée par Gazelle, qui, fatiguée d'un jeu dans lequel le plaisir n'était évidemment pas pour elle, avait enfin donné signe de vie en éraflant de ses pattes froides et aigu?s les cuisses pelées de Jacques Ier, qui fut d'autant plus bouleversé de cette agression, qu'il ne s'attendait à rien moins qu'une attaque de ce c?té.
En ce moment, un acheteur entra, et Decamps me fit signe qu'il désirait rester seul. Je pris mon chapeau et ma canne, et m'éloignai.
J'étais sur le palier, lorsque Decamps me rappela.
--à propos, me dit-il, venez donc demain passer la soirée avec nous.
--Que faites-vous donc demain?
--Nous avons souper et lecture.
--Bah!
--Oui, mademoiselle Camargo doit manger un cent de mouches, et Jadin lire un manuscrit.

Chapitre III
Comment mademoiselle Camargo tomba en la possession de M. Decamps.
Malgré l'invitation verbale que Decamps m'avait faite, je re?us le lendemain une lettre imprimée. Ce double emploi avait pour but de me rappeler la tenue de rigueur, les invités ne devant être admis qu'en robe de chambre et pantoufles. Je fus exact à l'heure et fidèle à l'uniforme.
C'est une curieuse chose à voir, que l'atelier d'un peintre, lorsqu'il a coquettement pendu à ses quatre murailles, pour faire honneur aux invités, ses joyaux des grands jours, fournis par les quatre parties du monde. Vous croyez entrer dans la demeure d'un artiste, et vous vous trouvez au milieu d'un musée qui ferait honneur à plus d'une ville préfectorale de France. Ces armures, qui représentent l'Europe au Moyen ?ge, datent de divers règnes et trahissent, par leur forme, l'époque de leur fabrication. Celle-ci, brunie sur les deux c?tés de la poitrine, avec son arête aigu? et brillante et son crucifix gravé, aux pieds duquel est une Vierge en
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