Le Voluptueux Voyage | Page 6

Marie-Aimery de Cominges
qui est des ?m��langes de salive?... voyez-vous, j'en ai soup��!
Et Floche regarda tristement le Seeligberg et le lac des Quatre-Cantons, comme quelqu'un qui n'aura plus jamais de soupe. Ensuite, elle finit par se pamer avec l'exag��ration qu'elle apportait �� tout, �� propos de l'eau, des reflets, des tons, du monument de Schiller... et s'adressant au pseudo-Berlinois:
--Monsieur, savez-vous si c'est le tombeau de Schiller?
--Non, Madame, c'est seulement son coeur qui est l��.
--Ah! son coeur qui est l��! Le coeur d'un si grand homme, d'un tel po��te!... Ils l'ont arrach��, son coeur, de son corps mort, les cruels! Et ils l'ont fourr�� l��, dans cette ��norme pierre froide au bord du lac. Ce pauvre coeur! Quelle po��tique invention, Monsieur! Il n'y a que les Allemands pour avoir une telle sensibilit��. Ah! l'amour, l'amour! Certainement, Altmar me lachera... je suis d'une nature si peu attachante. Je suis joliment malheureuse, allez.
--Ce pauvre Altmar, reprit Avertie, vous lui faites du tort puisqu'il n'a pas encore eu l'id��e de vous aimer.
--Mais rien que ?a, c'est affreux, et ?a suffit pour empoisonner mon voyage!
Le lac ��tait froid, gris et sec de ton �� cette heure matinale, dans une petite brume commune.
Avertie attendait, comme au th��atre, l'apoth��ose finale, les beaut��s du Gothard qu'elle escomptait pour la remettre de bonne humeur; mais quand elle les eut, l��, sous les yeux, dans leur s��v��rit�� verte, crue et pierreuse, ��troites et profondes, telles les ames de Port-Royal--sauf toutefois la couleur verte--elle ne put les aimer. Cela l'ennuyait, l'ennuyait prodigieusement, autant que de la mauvaise peinture.
--Etes-vous assez d��nigrante, ma ch��re! disait Floche d'un ton de reproche. Ces neiges ��ternelles, ces pics grandioses, cette nature boulevers��e, cette prodigieuse cr��ation de voie ferr��e, ces ?sept r��volutions du trac��?, cela ne vous chambarde donc pas?... Et quand on pense que c'est nous, les humains, qui avons trouv�� le truc pour terrasser ces monstres, les rendre utiles... l'histoire de la souris qui creuse un fromage, quoi! C'est splendide! Et ces gorges...
--Oh! ces gorges... Quand on pense aux beaux seins des femmes et qu'on compare!
--Vous dites? Et ces cascades?
--Ouatt! les cascades? des ?pissevaches? tout le temps.
--Des pisse... quoi?
--Je dis des pissevaches. En Suisse, vous savez bien, toutes les cascades sont des pissevaches.
--Non, je ne comprends pas bien, mais vous avez de l'esprit d'�� propos... En effet, ce sont tout �� fait des vaches vues par derri��re, mes pauvres cascades... ces bonnes vaches qui donnent de si bon lait, du si bon beurre, du si bon miel!
--Oh! du miel surtout, Floche!

CHAPITRE III
Le d��jeuner que Floche avait, par ��conomie, refus�� de manger se servait pendant la mont��e serpentine du Gothard, tandis que, b��ats, les touristes ��pataient leurs nez contre les vitres sales.
Seuls, Avertie et un couple amoureux se d��sint��ressaient du paysage. Le couple, comme tous ceux du m��me genre, s'entre-mangeait des yeux au-dessus de l'omelette aux fines herbes et du veau marengo. La femme, am��ricaine, tr��s fra?che sans ��tre tr��s jeune, avait la poitrine libre sous une ��toffe l��g��re. Quand elle faisait effort pour rompre son pain trop cuit, ses seins en cloches remuaient.
?Voil�� bien ce qu'ils pr��f��rent, les hommes!? soupira Avertie en caressant du plat de la main sa petite poitrine de Fellah. Dieu! que tout ce monde-l�� mange de fa?on commune et m��me ce gentil gosse de 13 ans!? pensa-t-elle encore!
Elle e?t souhait�� �� l'enfant une vilaine figure, tant ses vilaines mani��res offensaient sa beaut��. Quand elle se leva, tandis qu'il s'empressait poliment pour l'aider �� remettre son manteau, elle dit �� demi voix:--Merci beaucoup, mon petit monsieur, et, puisque vous ��tes si poli, ��coutez une vieille dame: lorsqu'on a, comme vous, une jolie figure, il faut avoir les ongles propres et ne pas manger avec ses doigts.? Et elle partit.
Dans le compartiment, Floche attendait G?schenen, la station du tunnel. On y arrivait.
--Quoi! s'��cria-t-elle G?schenen! Le tunnel d��j��! Et m��me pas cinq minutes d'arr��t pour se pr��parer �� passer sous ce terrible amas de rochers et de glace!... Mes sels! o�� sont mes sels de lavande?
Elle fouilla nerveusement le sac jaune.--Aurai-je le temps seulement de les sortir?... J'ai peut-��tre le coeur malade, qu'est-ce qu'on sait, apr��s tous les malheurs que j'ai eus! J'ai lu dans un journal que l'air de ce tunnel ��tait si lourd, si oppressant, si m��phitique... Ah! mon Dieu! nous voil�� d��j�� dans le trou et je ne trouve pas mes sels, quelle fatalit��! Ah si... enfin!
Et au moment o�� elle les portait �� son nez, le jour r��apparaissait.
Un soleil printanier ��clatait, enflammant les glaciers du versant italien; il r��pandait de l'argent liquide sur les pics froids, assis en rond comme des juges.
Ils ��taient beaux et peu sympathiques. Avertie, intimid��e, d��tourna les yeux; elle finissait par se croire coupable.
Mais le train, �� toute vitesse, l'emporta loin de ces monstres. Lointains, couronn��s de l��gers nuages, ils lui parurent plus accessibles. Floche, elle, prenait activement des
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