son affreux voisin devait ��tre Berlinois; �� sa t��te de courtier en fromages, elle avait reconnu cela de suite. Bavarde, elle lui adressa la parole en allemand.
Lui, r��pondit en fran?ais. Ainsi furent-ils fix��s tous les deux.
Mais plus loin, le Homespun et le Heather Mixture triomphaient sur les banquettes, m��lang��s �� cette odeur de tabac opiac�� qui grisait toujours un peu la jeune femme.
Un vieux, propret, plein de sant��, rouge et luisant comme les premi��res cerises et qu'Avertie, �� vue, couronna Baronnet, tenait, dans sa petite bouche vierge et un peu ridicule, une courte pipe de bruy��re. Le visage encadr�� de fins favoris, blancs comme du sucre, et tondus en bordure de buis bien nette, une rose rouge �� la boutonni��re, il avait l'air d'��tre chez soi, �� l'aise. �� c?t�� de lui, un grand gar?on, son fils; m��me corps, mais trente ans de moins... et quel teint! quelles dents! Ah! qu'Avertie se reconnut bien! De suite, elle pensa au baiser que lui donnerait cette bouche ferme et un peu ��paisse, dessin��e en arc pur, comme celle du David de Michel-Ange. Elle sentit presque, par autosuggestion, l'appui de ces l��vres sur sa bouche mince et elle ��prouva une sorte d'��moi.
Son regard descendit le long des jambes du jeune homme; elles ��taient fortes, muscl��es, s��ches sous la mince ��toffe.
?Il est beau, songea-t-elle, et combien peu il s'en doute! Son gilet ��cossais l'occupe uniquement et, dans le geste las qu'il vient de faire, n'a-t-il pas pr��cis�� ainsi la pose du Mars de Botticelli??
L'Anglais s'��tait aper?u qu'on l'observait. Sous son arcade naturellement tragique, sortait un regard long, direct, appuy��. Avertie, satisfaite d'��tre remarqu��e, le soutint, beaucoup moins par coquetterie que par admiration.
--Ce regard! c'est un ��v��nement, se dit-elle, et ce corps! Il doit ��tre beau, nu, dans cette pose de magnifique flemme sensuelle!
Elle pensa aux recommandations du B.-A, sourit d'accumuler d��j�� d��s le d��part, avant m��me l'Italie, et se parlant �� elle-m��me:--D��cid��ment, on ne s'ennuie pas en voyage quand on a des sens...
Le paysage se d��roulait. ?Petits sapins, et volets verts, chantonna-t-elle, savez-vous o�� je vous pr��f��re? Dans les bergeries des arbres de No?l, en mousse de bois peinturlur��e!? Elle conclut dans un soupir: ?D��sirer, d��sirer, c'est le seul condiment �� la fadeur de la vie, et puis, aussi, un soleil nouveau quand il sort des nuages.?
* * *
�� Lucerne, Dick Strathmore--elle avait lu ce nom sur sa valise--descendit avec sa famille. Il prit cong�� d'Avertie dans une bouff��e de pipe qui voila son intense regard. Elle en fut soudain abattue comme lorsque le soleil dispara?t alors qu'on compte sur lui pour le reste de la journ��e.
?Vraiment, j'avais d��j�� du go?t pour ce jeune male, se dit-elle. Sa bouche semblait un vrai canap��. Est-il assez bien mis! Et quelle allure dans ses foul��es! Au revoir, Dick!?
Par la porti��re, elle s'��tait pench��e pour le suivre plus longtemps. Entendit-il son au revoir? Sur le quai, il se retourna, leva les yeux vers Avertie, la regarda, puis referma lentement les paupi��res comme devant une lueur trop ��clatante.
Ce geste l'��mut. Signifiait-il quelque chose, apr��s tout? La fum��e de sa pipe? La poussi��re de charbon? L'avait-il vue seulement?
Mais, au fond, elle savait bien que ses yeux s'��taient ferm��s sur la belle image, involontaire hommage �� sa beaut��, peut-��tre.
Floche la tira de sa r��verie--le train filait au bord de l'eau.
--Est-ce beau, ce lac, Luzerna! Luzerna! Italia! chantonnait-elle sur l'air de Sorrente de Boccace. J'aimerais bien avoir des cartes postales pour les enfants. Ne pourriez-vous en acheter au prochain arr��t?
Avertie, complaisante et qui collectionnait pour elle-m��me, descendit �� la premi��re station, fit un choix, paya, apporta.
--Mais que c'est cher! l'accueillit Floche. Et pour des endroits qu'on a si mal vus, en passant, dont on n'a m��me pas pu lire les noms: K��sachak! qu'est-ce que cela, K��sachak? Pour une station, c'est ridicule! Ces noms suisses m'ahurissent, et puis c'est trop co?teux les voyages... mon avarice me reprend... Oh! que je souffre!
Ces exag��rations amusaient Avertie. Elle demanda:
--Irez-vous d��jeuner?
--Moi? mais je n'ai pas faim du tout!
--Pardon... est-ce l'encha?nement de vos id��es qui vous am��ne �� ne pas d��jeuner?
--Vous dites? Encha?nement de mes id��es? Ah! je comprends! Mon avarice? Au reste, je n'ai pas honte de vous l'avouer, maigrir et tondre sur un oeuf sont deux pr��occupations qui ne me quittent jamais.
--Enchant��e de l'apprendre; vous ferez dor��navant les commissions.
--Vous n'y pensez pas! Et mon petit sac que je ne peux quitter!
--Quoi! un sac? quel sac? (elle cherche le Carlin de l'oeil).
--Oui, celui-ci, ce tout petit! Ne me grondez pas... j'y ai mis mon argent, et seulement les deux lettres que je poss��de d'Altmar.
--Vous m'agacez. Vous n'��tes qu'une folle!
--Pas tant que cela, pas tant que cela! Croyez-vous que je ne sais pas qu'Altmar est riche? Je le cultive surtout pour ses cadeaux, ses automobiles, ses loges, ses billets de th��atre et de courses. Car, pour ce
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