de paniers bas, s'alignaient, couverts de toile ou de paille; et une odeur de mirabelles trop m?res tra?nait. Une voix douce et lente, qu'il entendait depuis longtemps, lui fit tourner la tête. Il vit une adorable petite femme brune, assise par terre, qui marchandait.
--?Dis donc, Marcel, vends-tu pour cent sous, dis?
L'homme, enfoui dans une limousine, ne répondait pas, et la jeune femme, au bout de cinq grandes minutes, reprenait:
--?Dis, Marcel, cent sous ce panier-là, et quatre francs l'autre, ?a fait-il neuf francs qu'il faut le donner?
Un nouveau silence se fit:
--?Alors qu'est-ce qu'il faut te donner?
--?Eh! dix francs, tu le sais bien, je te l'ai dit... Et ton Jules, qu'est-ce que tu en fais, la Sarriette?
La jeune femme se mit à rire, en tirant une grosse poignée de monnaie.
--?Ah bien! reprit-elle, Jules dort sa grasse matinée... Il prétend que les hommes, ce n'est pas fait pour travailler.
Elle paya, elle emporta les deux paniers dans le pavillon aux fruits qu'on venait d'ouvrir. Les Halles gardaient leur légèreté noire, avec les mille raies de flamme des persiennes; sous les grandes rues couvertes, du monde passait, tandis que les pavillons, au loin, restaient déserts, au milieu du grouillement grandissant de leurs trottoirs. à la pointe Saint-Eustache, les boulangers et les marchands de vins ?taient leurs volets; les boutiques rouges, avec leurs becs de gaz allumés, trouaient les ténèbres, le long des maisons grises. Florent regardait une boulangerie, rue Montorgueil, à gauche, toute pleine et toute dorée de la dernière cuisson, et il croyait sentir la bonne odeur du pain chaud. Il était quatre heures et demie.
Cependant, madame Fran?ois s'était débarrassée de sa marchandise. Il lui restait quelques bottes de carottes, quand Lacaille reparut, avec son sac.
--?Eh bien, ?a va-t-il à un sou? dit-il.
--?J'étais bien s?re de vous revoir, vous, répondit tranquillement la mara?chère. Voyons, prenez mon reste. Il y a dix-sept bottes.
--??a fait dix-sept sous.
--?Non, trente-quatre.
Ils tombèrent d'accord à vingt-cinq. Madame Fran?ois était pressée de s'en aller. Lorsque Lacaille se fut éloigné, avec ses carottes dans son sac:
--?Voyez-vous, il me guettait, dit-elle à Florent. Ce vieux-là _rale_ sur tout le marché; il attend quelquefois le dernier coup de cloche, pour acheter quatre sous de marchandise... Ah! ces Parisiens! ?a se chamaille pour deux liards, et ?a va boire le fond de sa bourse chez le marchand de vin.
Quand madame Fran?ois parlait de Paris, elle était pleine d'ironie et de dédain; elle le traitait en ville très-éloignée, tout à fait ridicule et méprisable, dans laquelle elle ne consentait à mettre les pieds que la nuit.
--?à présent, je puis m'en aller, reprit-elle en s'asseyant de nouveau près de Florent, sur les légumes d'une voisine.
Florent baissait la tête, il venait de commettre un vol. Quand Lacaille s'en était allé, il avait aper?u une carotte par terre. Il l'avait ramassée, il la tenait serrée dans sa main droite. Derrière lui, des paquets de céleris, des tas de persil mettaient des odeurs irritantes qui le prenaient à la gorge.
--?Je vais m'en aller, répéta madame Fran?ois.
Elle s'intéressait à cet inconnu, elle le sentait souffrir, sur ce trottoir, dont il n'avait pas remué. Elle lui fit de nouvelles offres de service; mais il refusa encore, avec une fierté plus apre. Il se leva même, se tint debout, pour prouver qu'il était gaillard. Et, comme elle tournait la tête, il mit la carotte dans sa bouche. Mais il dut la garder un instant, malgré l'envie terrible qu'il avait de serrer les dents; elle le regardait de nouveau en face, elle l'interrogeait, avec sa curiosité de brave femme. Lui, pour ne pas parler, répondait par des signes de tête. Puis, doucement, lentement, il mangea la carotte.
La mara?chère allait décidément partir, lorsqu'une voix forte dit tout à c?té d'elle:
--?Bonjour, madame Fran?ois.
C'était un gar?on maigre, avec de gros os, une grosse tête, barbu, le nez très-fin, les yeux minces et clairs. Il portait un chapeau de feutre noir, roussi, déformé, et se boutonnait au fond d'un immense paletot, jadis marron tendre, que les pluies avaient déteint en larges tra?nées verdatres. Un peu courbé, agité d'un frisson d'inquiétude nerveuse qui devait lui être habituel, il restait planté dans ses gros souliers lacés; et son pantalon trop court montrait ses bas bleus.
--?Bonjour, monsieur Claude, répondit gaiement la mara?chère. Vous savez, je vous ai attendu, lundi; et comme vous n'êtes pas venu, j'ai garé votre toile; je l'ai accrochée à un clou, dans ma chambre.
--?Vous êtes trop bonne, madame Fran?ois, j'irai terminer mon étude, un de ces jours... Lundi, je n'ai pas pu... Est-ce que votre grand prunier a encore toutes ses feuilles?
--?Certainement.
--?C'est que, voyez-vous, je le mettrai dans un coin du tableau. Il fera bien, à gauche du poulailler. J'ai réfléchi à ?a toute la semaine... Hein! les beaux légumes, ce matin je suis descendu de bonne heure, me doutant qu'il y aurait un lever de soleil
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.