Le Salon des Refusés | Page 4

Fernand Desnoyers
et à une _harmonie préétablie_ qui expliquait tout.
Le critique d'art a rendu le peintre plus bête qu'il n'était,--plus que la nature,--presque autant que lui.
Il est la cause de la classification des peintres qui donnera une si rude besogne aux professeurs du Muséum:
Les peintres, désormais, rangés sur une liste, Seront étiquetés par un naturaliste.
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=CLASSIFICATION DES PEINTRES=
éCOLE DE PARIS
Les peintres de cette école sont généralement élèves de Gassendi; comme ce célèbre professeur, ils font leur syntagme légèrement colorié d'épicurisme.--Voltaire, Rousseau, d'Alembert et Diderot empoignent les peintres à leur sortie de l'école de Gassendi et les poussent au matérialisme. Le fameux Biard, un des plus vieux élèves, se rappelant que Molière avait été aussi disciple de Gassendi, s'est surnommé le Molière de la peinture.
Quelques spirites jettent de la variété dans cette école, à laquelle se rattachent los Michel-Ange de Montmartre, dont nous avons esquissé autrefois les portraits comme suit:
LES MICHEL-ANGE DE MONTMARTRE
Montmartre fut autrefois célèbre dans le monde des railleurs par son Académie. Les anes de Montmartre sont tous artisses.
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Tout le quartier Bréda, la rue des Martyrs, les boulevards extérieurs et les rues de Montmartre sont occupés par des peintres, des gens de lettres, sculpteurs, musiciens, acteurs et architectes de vilaine espèce. Le fluide sympathique, loi physique irrésistible, les a attirés, groupés et parqués dans un même lieu.
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Généralement ils sont malpropres. Ils affectent dans leurs allures, dans leur mise, dans leur langage, une désinvolture qui voudrait prouver que l'Art seul les préoccupe. Les lignes et les coupes vulgaires de leur figure les rendent odieux aux yeux avant que les oreilles ne soient blessées par leur voix: car l'horrible vulgarité leur sort par tous les porcs et par tous les sens.
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Ils se font _des têtes_, ce qui serait excusable s'ils pouvaient comprendre l'insuffisance de celles que la nature leur a faites; mais non, ce n'est qu'une prétention bête: ils veulent attirer les regards des bourgeois, dans les estaminets.
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Pour se faire de grands fronts, ils rejettent leurs longs cheveux en arrière, les ébouriffent ou les collent derrière l'oreille, les séparent par une raie au milieu de la tête ou les portent à la _mal-content_, en laissant alors cro?tre leur barbe, qu'ils taillent avec le même art.
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Une remarque bizarre résulte de leur examen. Au bout de peu de temps, l'intimité leur donne à tous la mémo voix, les mêmes gestes, les mêmes paroles, la même démarche.
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Si l'un d'eux s'accoutre d'une fa?on, deux jours après le camarade est affublé pareillement.--Les paletots-sacs et les feutres à larges bords sont de leur go?t: _?a_ a du chic ou du _caractère_, disent-ils.
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Mais le plus souvent on les voit passer dans le quartier ou s'attabler dans les cafés, habillés de pantalons à pied à larges carreaux, de vareuses rouges et coiffés de chapeaux de paille, de bérets, ou plus simplement tête nue.
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Ils partagent avec les acteurs la manie du tutoiement, et ce sont justement leurs propos qui provoquent dans l'homme les hauts-le-coeur les plus précipités.
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Ils ne s'abordent jamais sans s'adresser cette phrase sacramentelle: ?Bonjour, ma vieille, comment _qu'?a te va_?? Quelques mots d'argot étincellent maladroitement dans leur conversation. Mais voici un échantillon significatif, qui achèvera de donner une idée juste de leurs expressions:
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Un soir, quelques-uns de ces messieurs étaient réunis dans un atelier. Un d'eux chanta une abominable niaiserie intitulée: _le Voyage aérien_. Le chanteur prenait des airs inspirés qui paraissaient émouvoir profondément l'auditoire. Quand il eut fini, tout le monde l'entoura, le félicita vivement; puis un peintre lui serra les deux mains en lui disant: ?_C'est égal, tu y as été de la larme_.?
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Leurs moeurs ne sont pas édifiantes. Leurs soirées se passent dans les bals de barrière ou dans les estaminets; leurs nuits, je ne peux pas dire où. Enfin ils emploient leurs jours à dormir, flaner, jouer au billard ou à l'_impériale_, à fumer et à boire et manger des poisons qui ne les tuent pas.
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Leurs opinions artistiques et littéraires sont que M. Gustave Doré a un talent ?_épatant_, ?que M. Edmond About est ?_l'esprit fran?ais?_ en personne; que sais-je encore? Cela suffit.
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Du reste, il n'est rien qui ne leur soit familier: peinture, poésie, sculpture, musique, philosophie, sciences, tout est de leur ressort. Semblables en cela au Solitaire de M. le vicomte d'Arlincourt, ils voient tout, ils savent tout, ils sont partout.
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Quoiqu'ils soient tous de _bons gar?ons_, il ne faut pas se fier à eux. Comme ils sont naturellement répulsifs, aux yeux d'abord, ensuite aux oreilles et au nez même, puis surtout aux intelligences, il en résulte qu'ils
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