des natures mortes, des fruits, des ognons, des carottes, etc.; les portraits de MM. Julian, Fantin, Gilbert et vingt autres, pourquoi les avoir refusés? Personne, pas plus un juré qu'un jury, pas plus un critique d'art qu'un peintre, ne pourra donner une bonne raison du refus. Les peintures que je viens de citer sont proprement, habilement exécutées dans les règles et dans les conditions de sujet et de faire ordinaires. Donc, même en dehors de tout esprit révolutionnaire, les peintres des tableaux susdits, qui ont protesté en profitant de la Contre-exposition offerte, ont eu doublement raison.
Ah! je comprends les frayeurs du jury à l'aspect des hardiesses du ma?tre-peintre Courbet, ou du peintre des croque-morts, M. Lambron; les peintres de talent ont presque tous eu le même sort: on les a refusés jusqu'à ce qu'ils se soient imposés, jusqu'à ce qu'ils soient entrés de force, portés dans la salle par tout le monde. Quant aux peintres originaux, il leur a fallu lutter toute la vie et employer des moyens malicieux pour se faire admettre et se glisser derrière leurs pauvres confrères,--pour se placer à c?te d'eux.
Je comprends que l'amour du calme et le respect de l'Académie fassent reculer les juges devant le gai tableau de M. Fitz-Barn, La Cage, qui attire tant de monde, et qui contient tant d'animaux. Je m'explique le rejet du Lever de M. Julian, du Jeu de paume de M. Colin, de _la Femme adultère_ de M. A. Gautier, du Bain de M. Manet, de la Fille Blanche de M. Whistler, le plus spirite des peintres, et de _la Dernière heure_ de M. Viel-Cazal. Tous ces tableaux très-remarquables, ou très-osés, ont d? troubler des gens chargés de la défense du bon go?t, de l'Art, de la Science et de beaucoup trop de choses que personne ne veut attaquer.
Tout le monde peut s'assurer que ce plaidoyer pour les Refusés est juste; que je ne dis que des vérités et que ces vérités sautent aux yeux.
On peut dès à présent être certain que les tableaux que j'ai cités attirent et méritent l'attention par des raisons diverses.
Dieu! que c'est ennuyeux, l'Exposition! Comme tous ces cadres dorés, tous ces numéros, toutes ces peintures a giorno vous taquinent les yeux, vous dessèchent la gorge, vous font mal au cou!
Si j'avais l'intention de devenir critique d'art et de faire le Salon souvent, j'aimerais mieux, je crois, faire une tournée dans tous les ateliers quelques jours avant l'Exposition, que d'aller au musée. Ce serait plus fatigant et plus ennuyeux, mais je verrais mieux. Rien n'est plus discordant que cet amas de peintures. Au-dessous d'un tableau grave grimace un tableau grotesque.
Mais je ne veux pas devenir critique d'art.
Ah! les critiques d'art!
Voilà, voilà, voilà! Le vrai critique d'art fran?ais.
Le fameux critique influent au gilet blanc, celui-là même qui se groupait dans les foyers de théatre, les soirs de première représentation, et qui _protégeait_ si solennellement les auteurs dramatiques et les acteurs, n'est rien auprès du critique d'art.
Le critique d'art a une importance qu'il ne cherche pas à dissimuler. Cette importance est basée sur sa science. C'est lui qui a fait des découvertes d'esthéthique, de Svedenborgisme, de philosophie et de spiritisme dans les paysages et dans les tableaux. Jusqu'alors on n'avait trouvé dans la peinture que la représentation des objets plus ou moins réussie. Le critique d'art est enfin venu, armé de gros tomes, et il a démontré aux peintres que les diverses écoles de philosophie allemande, n'étaient pas du tout étrangères à la peinture. Kant, Leibnitz, Spinosa, Hegel, Schelling, Fichte, Richter, Grimm, Locke, Condillac et Denis Diderot, Svedenborg et Saint Martin font bien dans le paysage et les critiques d'art, qui sont leurs interprètes pour les peintres, les ont barbouilles de vermillon et de jaune de chrome et ont puissamment prouvé la nécessité absolue de leur incarnation dans la peinture à l'huile. Avant le critique d'art, on ne savait que voir la peinture, on ne savait pas la lire. Actuellement, grace aux critiques d'art, les peintres mieux renseignés, remplissent leurs paysages et leurs portraits d'esthétique et de svedenborgisme: Heureux qui peut entendre un paysagiste approfondir les questions _d'objectif et de subjectif_, de sensualisme, de matérialisme et de spiritisme, et résoudre le problème des trois corps, d'après le fameux marquis de Condorcet.
J'ai eu la chance de me trouver dans une société de peintres et de critiques d'art, brasserie allemande, où l'on discutait fortement, à propos de la dernière exposition de tableaux et de celles de Courbet, sur la définition de la substance. Les peintres, en méditant le fameux _Enterrement d'Ornans_ du ma?tre-peintre, inclinaient d'abord pour le cartésianisme, puis, définissant la substance, ils la considéraient comme purement passive et invoquaient à l'appui de leur dissertation Mallebranche, Descartes et Spinosa. A la seconde tournée de canettes, les critiques d'art ramenèrent avec un grand bonheur d'expressions les peintres aux monades
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