mais garder bonne
mémoire des pensums donnés à l'École des Beaux-Arts, et pieusement
conserver les recettes de la maison, cela suffit, paraît-il, pour vous
conduire à tout.
»M. Signol me représente un élève ignorant et noué, le dernier de sa
classe, toujours coiffé d'un bonnet d'âne, la risée de ses camarades et le
plastron des professeurs. Plusieurs générations se succèdent; petit à
petit, la classe se vide; les professeurs meurent, et un beau jour, le
bonnet d'âne, resté seul, finit par monter en chaire.
»Sa profonde nullité a fait sa fortune. Il n'a heurté personne, et, comme
tous les gens médiocres, il a avancé, soutenu par tout le monde.
Très-fidèle à la tradition de l'École, je ne crois pas qu'il ait jamais peint
un sujet en dehors de l'Antique ou de l'Évangile. Le cycle de ses sujets
est pour lui le cercle de Popilius: Il n'en sort pas.
»Le _Supplice d'une vestale_ obtient au Salon, cette année, un succès
de fou rire, et _Rhadamiste et Zénobie_ rappellent avec bonheur le
Malek-Adel de Mme Cottin qui inspira tant de pendules au
commencement de ce siècle. Il est impossible de dire ce qu'est la
peinture. Elle a la propreté lustrée du cuir verni; elle en a aussi la
sécheresse cassante. Est-elle passée au four comme la peinture de
Sèvres?
»Mais que vais-je chercher là? On ne peut pas plus s'occuper de la
couleur de M. Signol, que de sa composition, que du choix de ses sujets.
La seule chose qu'on soit en droit de lui demander, c'est un peu de
pudeur. Lorsqu'on peint comme lui, on se cache.»
Henry De La Madelène.
(_Figaro-Programme_, 20 mai 1863)
Il est à remarquer que les tableaux religieux, que les tableaux à sujets
académiques, militaires, mythologiques et romains, sont les plus
mauvais. Que de victimes de MM. Brascassat, Léon Cogniet, Yvon,
Gleyre! etc., etc.
Il faut excepter M. Briguiboul. Son tableau mythologique est beau; il a
bien plus de valeur que son tableau reçu. Ce n'est pas seulement mon
opinion, c'est celle de beaucoup de peintres, et je crois pouvoir dire de
tout le monde. Mais, malgré son talent, M. Briguiboul doit être classé
parmi Les Suspects. Il n'est pas inscrit sur le catalogue. Il proteste
timidement au Salon des Refusés contre son rejet. Il ne se montre que
comme quelqu'un qui se cache. Je sais par hasard que ce beau tableau
est de lui.
Voici un autre tableau mythologique, celui de M. Émile Loiseau,
_Hercule filant aux pieds d'Omphale_. Quelques peintres disent que ce
tableau est un Jules Romain. Ce n'est pas ce que je pense; d'ailleurs,
mieux vaudrait être soi, fut-on mauvais, que d'être un imitateur.
_L'Hercule_ de M. Loiseau est formidable même pour un Hercule. Ce
n'est pas des biceps qu'il a sur les bras, mais des montagnes. Son torse
est tellement accidenté d'énormes capitons que cela doit le gêner. Du
reste, tout est hercule dans ce tableau. Omphale aussi se porte bien!
Quelle gaillarde! Cependant cette peinture ne méritait pas les honneurs
du refus. Par exemple, _l'Intérieur mauresque_, du même peintre n'est
pas du tout de mon goût, je l'avoue. Il ressemble à une tapisserie ou
plutôt à un dessin industriel colorié sur papier à petits carreaux.
M. Amand Gautier figure aux deux Expositions. _La Femme adultère_
est un beau tableau dont le refus ne peut s'expliquer que parce qu'il est
beau. Quelques peintres pensent que les peintres du jury, qui ont fait
dans leur jeunesse _une Femme adultère_, n'auront pas admis qu'on
traitât le sujet évangélique autrement que classiquement. M. Gautier a
représenté sur le seuil d'un petit temple grec un mari féroce, dont la
figure est toute en poils, menaçant de transpercer de son doigt pointu sa
femme qu'il a chassée pour cause d'adultère.
Une femme, après tout, n'est pas une muraille, Quand son coeur lui dit:
Va! que diable! il faut qu'elle aille.
Un ciel en feu, un chien qui aboie, des arbres aux ramaux pointus et
tendus comme le doigt de l'époux irrité, semblent être tous avec lui
contre la malheureuse jeune femme. Je ne pense pas que M. Gautier ait
voulu donner une leçon à Jésus-Christ qui pardonne à la femme
adultère; mais j'ai entendu quelques personnes le supposer. Le tableau
est très-bien peint;--la femme, le ciel, le chien surtout sont réussis. On
ne peut s'empêcher de prendre le parti de cette jeune épouse qui doit
être jolie, je dis qui doit, car elle cache sa figure dans ses mains. Le
mari est plus désagréable, plus méchant, plus ridicule encore que ne le
sont ses semblables ordinairement. Le ciel orageux est admirable--pas
de charité,--et cela s'explique mal, puis-qu'il est le séjour du Christ.
Ce qu'il y a de plus comique, c'est que chacun éprouve le besoin de
recomposer le tableau de M. Gautier. L'un dit: le mari devrait être
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