suffisance mêlé à je ne sais quoi de borné et de peu inventif. On sent enfin que le talent de cet homme-là se borne à se faire payer bien exactement ce qu'on lui doit, et à payer lui-même le plus tard possible quand il doit.
Tel est le maire de Verrières, M. de Rênal. Après avoir traversé la rue d'un pas grave, il entre à la mairie et dispara?t aux yeux du voyageur. Mais, cent pas plus haut, si celui-ci continue sa promenade, il aper?oit une maison d'assez belle apparence, et à travers une grille de fer attenante à la maison, des jardins magnifiques. Au-delà, c'est une ligne d'horizon formée par les collines de la Bourgogne; et qui semble faite à souhait pour le plaisir des yeux. Cette vue fait oublier au voyageur l'atmosphère empestée des petits intérêts d'argent dont il commence à être asphyxié.
On lui apprend que cette maison appartient à M. de Rênal. C'est aux bénéfices qu'il a faits sur sa grande fabrique de clous que le maire de Verrières doit cette belle habitation en pierre de taille qu'il achève en ce moment. Sa famille dit-on, est espagnole antique, et, à ce qu'on prétend, établie dans le pays bien avant la conquête de Louis X.
Depuis 1815 il rougit d'être industriel: 1815 l'a fait maire de Verrières. Les murs en terrasse qui soutiennent les diverses parties de ce magnifique jardin qui, d'étage en étage, descend jusqu'au Doubs, sont aussi la récompense de la science de M. de Rênal dans le commerce du ter.
Ne vous attendez point à trouver en France ces jardins pittoresques qui entourent les villes manufacturières de l'Allemagne, Leipzig, Francfort, Nuremberg, etc. En Franche-Comté. plus on batit de murs, plus on hérisse sa propriété de pierres rangées les unes au-dessus des autres, plus on acquiert de droits aux respects de ses voisins. Les jardins de M. de Rênal, remplis de murs, sont encore admirés parce qu'il a acheté au poids de l'or certains petits morceaux de terrain qu'ils occupent. Par exemple, cette scie à bois, dont la position singulière sur la rive du Doubs vous a frappé en entrant à Verrières, et où vous avez remarqué le nom de SOREL, écrit en caractères gigantesques sur une planche qui domine le toit, elle occupait, il y a six ans, l'espace sur lequel on élève en ce moment le mur de la quatrième terrasse des jardins de M. de Rênal.
Malgré sa fierté, M. le maire a d? faire bien des démarches auprès du vieux Sorel, paysan dur et entêté; il a d? lui compter de beaux louis d'or pour obtenir qu'il transportat son usine ailleurs. Quant au ruisseau public qui faisait aller la scie, M. de Rênal, au moyen du crédit dont il jouit à Paris, a obtenu qu'il f?t détourné. Cette grace lui vint après les élections de 182...
Il a donné à Sorel quatre arpents pour un, à cinq cents pas plus bas sur les bords du Doubs. Et, quoique cette position f?t beaucoup plus avantageuse pour son commerce de planches de sapin, le père Sorel, comme on l'appelle depuis qu'il est riche, a eu le secret d'obtenir de l'impatience et de la manie de propriétaire, qui animait son voisin, une somme de 6000 F.
Il est vrai que cet arrangement a été critiqué par les bonnes têtes de l'endroit. Une fois, c'était un jour de dimanche, il y a quatre ans de cela, M. de Rênal, revenant de l'église en costume de maire, vit de loin le vieux Sorel, entouré de ses trois fils, sourire en le regardant. Ce sourire a porté un jour fatal dans l'ame de M. le maire, il pense depuis lors qu'il e?t pu obtenir l'échange à meilleur marché.
Pour arriver à la considération publique à Verrières, l'essentiel est de ne pas adopter, tout en batissant beaucoup de murs, quelque plan apporté d'Italie par ces ma?ons, qui, au printemps, traversent les gorges du Jura pour gagner Paris. Une telle innovation vaudrait à l'imprudent batisseur une éternelle réputation de mauvaise tête, et il serait à jamais perdu auprès des gens sages et modérés qui distribuent la considération en Franche-Comté.
Dans le fait, ces gens sages y exercent le plus ennuyeux despotisme; c'est à cause de ce vilain mot que le séjour des petites villes est insupportable, pour qui a vécu dans cette grande république qu'on appelle Paris. La tyrannie de l'opinion, et quelle opinion! est aussi bête dans les petites villes de France, qu'aux états-Unis d'Amérique.
CHAPITRE II
UN MAIRE
L'importance! Monsieur, n'est-ce rien? Le respect des sots, l'ébahissement des enfants, l'envie des riches, le mépris du sage. BARNAVE
Heureusement pour la réputation de M. de Rênal comme administrateur, un immense mur de soutènement était nécessaire à la promenade publique qui longe la colline à une centaine de pieds au-dessus du cours du Doubs. Elle doit à cette admirable position une des
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