nopals, et
ses pauvres masures «pareilles à des sépulcres blanchis»; et tout cela vu
avec la netteté, rendu avec la sûreté incomparable du «maître des
peintres».
S'agit-il d'animer à la fois et les pays et les hommes qui y ont autrefois
vécu, le génie de Chateaubriand est plus prestigieux encore. Quel
tableau que celui de la bataille du sixième livre des _Martyrs!_ C'est
comme la description d'un témoin oculaire qui aurait été le plus
merveilleux des artistes. Tout y est pittoresque et tout y est vivant.
Inutile sans doute d'en rien citer: la page est dans toutes les mémoires.
Mais ce qu'il ne faut pas se lasser de faire remarquer, c'est l'éclatante
nouveauté du tableau. Cette fois c'était bien la couleur locale, avec ce
qu'elle peut avoir de plus précis pour l'esprit et de plus chatoyant pour
l'imagination; et Chateaubriand tissait ainsi, et de façon définitive, la
toile de fond du roman historique, s'il est vrai, comme le veut une
spirituelle définition, que le roman historique ne soit que «l'art de faire
mouvoir des personnages faux dans un décor à peu près exact[6].»
[Note 6: G. Renard, Nouvelle Revue, tome XXXV, p. 704, 1885.]
De telles nouveautés devaient être un jour singulièrement fécondes:
elles ne réussirent d'abord qu'à susciter Marchangy, le symbole même
des fades élégances et de la platitude emphatique, et un des plus
parfaits exemples qu'en littérature les intentions ne suffisent pas. La
_Gaule poétique_[7] est une merveille d'application et de bonne
volonté: c'est un témoignage plus magnifique encore de radicale
impuissance, une série d'essais qui restent stériles et qui avortent. Le
malheureux! Cette matière si nouvelle, que Chateaubriand venait de
découvrir, ne recommande-t-il pas de la couler dans les anciens moules
du plus orthodoxe et du plus pur classicisme? Des règnes de François
Ier et de Henri IV, on ferait «un nouveau genre d'épopée héroïque,
facétieuse et familière»; et dans l'histoire des successeurs de Clovis, «la
cantate, l'hymne, le dithyrambe, l'ode, l'héroïde, trouveraient des sujets
inspirateurs!» Il est difficile sans doute de pousser plus loin la naïveté
et l'inintelligence.
[Note 7: Le titre complet de l'ouvrage est: _la Gaule poétique ou
l'Histoire de France considérée dans ses rapports avec la poésie,
l'éloquence et les beaux-arts._ Il parut en 1813.]
C'est qu'aussi bien les temps n'étaient pas encore accomplis et que, pour
faire porter tous leurs fruits aux nouveautés des Martyrs, il était besoin
d'une autre influence et d'un autre écrivain. Il fallait un homme qui dès
sa plus tendre enfance fût familier avec l'histoire et avec tout ce côté
poétique de l'histoire, mêlé de faussetés et de vérités, qui forme le
trésor de la légende; pour qui la vie passée, avec le pêle-mêle de ses
menus détails et pratiques et coutumes ordinaires, fût aussi réelle, aussi
vivante que le présent; dont l'imagination fût naturellement tournée
vers l'archéologie et qui éprouvât vivement pour lui-même, afin de le
faire mieux partager aux autres, le charme particulier que dégagent les
choses disparues, vieux castels et vieilles armures; un homme enfin
capable de traduire toutes ces choses dans un récit plus alerte que
savant, plus enjoué que majestueux, et avec la seule ambition
d'intéresser par la vérité savoureuse de ses peintures. Il vint, mais il
naquit de l'autre côté du détroit, et ce fut Walter Scott.
CHAPITRE IV
Le roman historique dans Walter Scott.
Jamais écrivain ne fut mieux préparé au rôle glorieux qu'il allait remplir.
La nature l'avait créé conteur: de très bonne heure son goût et les
circonstances le firent antiquaire. Des nombreux témoignages de ses
biographes, et surtout de ses aveux personnels, il apparaît clairement
que le présent ne l'a jamais intéressé que comme représentatif du passé,
et que c'est au passé que sont toujours allées ses préférences. Les
siècles précédents lui sont aussi familiers, plus familiers peut-être que
son époque même, et il s'oriente dans ces temps reculés comme s'il y
avait réellement vécu.
Les «récits aventureux et féodaux» et tout ce qui a trait «aux chevaliers
errants», voilà ce qui le passionne, et au fond c'est la seule chose qu'il
ait jamais aimée. Un paysage ne l'intéresse que par les souvenirs qu'il
évoque, et, à ses yeux, un site n'est pittoresque et digne d'attention
qu'autant qu'il a servi de cadre à une scène historique, et qu'autrefois il
s'est passé là quelque chose. Mme de Staël disait qu'elle n'ouvrirait pas
sa fenêtre pour voir le golfe de Naples, et qu'elle ferait des lieues pour
entendre la conversation d'un homme d'esprit: Walter Scott, en voyage,
aurait peut-être hésité à changer son itinéraire pour un paysage qui
n'aurait eu à lui offrir que le spectacle de ses seules beautés naturelles,
au lieu que la plus insignifiante des ruines, pourvu qu'elle fût
authentique, et il s'y connaissait, le remplissait d'émotion. «On n'avait
qu'à me montrer un vieux château, un champ de
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.