Le Roman Historique a lEpoque Romantique - Essai sur lInfluence de Walter Scott | Page 5

Louis Maigron
perdait pas; et il n'est pas malais�� d'��tablir que le futur roman historique y trouvait particuli��rement son compte.
Aux ��crivains dont nous avons parl�� jusqu'ici, il manquait non le sentiment profond de l'histoire,--la litt��rature devait en attendre jusqu'au XIXe si��cle les premi��res manifestations,--mais le souci et comme le sens de la simple exactitude. Rien n'y pr��parait comme de choisir pour h��ros des personnages contemporains. Car alors l'imagination, toujours pr��te �� s'emporter chez un romancier, est n��cessairement tenue en bride. Le moins avis�� des lecteurs peut comparer le mod��le �� la copie, le portrait �� l'original; et il est fatal que cette facilit�� de v��rification r��gle et contienne la main du peintre.
Non qu'on doive s'attendre �� ne plus rencontrer que v��rit�� absolue: la chose fut toujours rare �� l'��talage d'un romancier, surtout s'il se pique de n'��crire que des romans historiques; et ne faut-il pas toujours compter avec la malignit�� humaine, principalement quand c'est sur des contemporains qu'elle a occasion de s'exercer? Il y aura donc des m��disances et des calomnies, des indiscr��tions ou des comm��rages, c'est-��-dire des infid��lit��s. Mais, outre que nous y trouvons justement l'��cho assez souvent fid��le de ce que les int��r��ts ou les passions ont pu faire penser, de leur vivant m��me, des personnages historiques, l'��crivain sera tenu de ne pas trop s'��carter d'une certaine v��rit�� g��n��rale, dont les romanciers du groupe pr��c��dent n'avaient soup?onn�� ni la n��cessit��, ni m��me l'existence. Les h��ros des Courtilz de Sandras, des Hamilton et des Pr��vost sont des prodiges de v��rit�� par comparaison avec les invraisemblables fantoches des La Calpren��de ou des Scud��ry.
Voici Mazarin. La psychologie du cauteleux italien ne sera sans doute ni bien raffin��e, ni bien profonde: Courtilz de Sandras n'a que de tr��s lointains rapports avec l'auteur de Britannicus ou de Mithridate. Mais comme les r��cits l��gers et malicieux de nos conteurs d��gagent et fixent avec nettet�� les traits essentiels, ceux qui ont d? surtout faire impression sur les hommes d'alors! Il est ?fin et adroit?, fier d'ailleurs de son habilet�� et de sa souplesse: ?en mati��re de ruse et de fourberie il e?t ��t�� bien fach�� de le c��der �� aucun?, mais incapable de r��sister en face, surtout quand on lui parle d'un certain ton: ?il ne falloit que montrer les dents pour en avoir tout ce qu'on vouloit?, ?ma fermet�� le fit taire; il falloit lui contredire pour gagner sa cause avec lui?;--d'une avarice encore plus remarquable: ?il ��toit tenant comme un Juif quand il y alloit de son int��r��t?; son premier soin, une fois ministre, est d'��tablir des jeux, on devine dans quel but: ?il n'en vouloit point �� la vie de personne, il n'en vouloit qu'�� leur bourse et il n'y eut point de finesse qu'il ne mit en oeuvre pour remplir la sienne?;--flatteur excessif avec ceux qu'il redoute ou qu'il a int��r��t �� m��nager, et d'une impertinence m��prisante avec ses inf��rieurs, ces deux d��fauts rendus encore plus piquants par son z��zaiement d'Italien: ?Monsieur le Prince, lui dit-il d'abord qu'il le vit, que fairont les Espagnols dor��navant, vous qui touez plous de monde vous seul que ne fait oune arm��e?? Devant tant de bassesse, le probe et scrupuleux d'Artagnan ne peut ��prouver que du m��pris: ?il lui dit encore quantit�� de momeries qui eussent ��t�� bien mieux dans la bouche d'un baladin que dans celle d'un ministre d'��tat.? Mais le susceptible et chatouilleux mousquetaire en entendra bien d'autres. ?Artagnan, jou ne counouissois pas les Fran?ois avant que de les gouverner, mais les Espagnols ont grande raison de les appeler Gavaches: il n'y a rien qu'on ne leur fasse faire pour de l'argent?. Faites aussi la part de la hablerie gasconne et de l'antipathie que l'avarice sordide du cardinal devait inspirer �� la folle insouciance de notre mousquetaire: n'avez-vous point l�� l'impression exacte qu'ont d? ��prouver les contemporains?
Les personnages ne sont pas seuls �� avoir plus de v��rit��; c'est dans un milieu r��el que ces ��tres r��els vivent et s'agitent.
Voyez par exemple, toujours chez Courtilz de Sandras, le monde turbulent et aventureux, un peu fou, mais si brillant, de la Fronde: Conti qui se r��volte, les intrigues du Coadjuteur, ?la fille a?n��e du duc d'Orl��ans, qui ��toit une Princesse plus propre �� porter un justaucorps qu'une jupe?, et les soeurs Mancini, avec toutes les ambitions dont elles sont le centre. Le spectacle de la rue n'est ni moins bigarr��, ni moins amusant: bretteurs et duellistes, mousquetaires ou ?mouches? du lieutenant de police, femmes masqu��es et cavaliers qui se glissent �� des rendez-vous furtifs, la rapi��re au c?t�� et le pistolet �� la ceinture, comme s'ils allaient au camp ou �� la parade; un bruit, une agitation, un fourmillement �� donner le vertige, et par-dessus tout, une bonne humeur largement ��pandue, une ga?t�� insouciante et folle, et comme une hate f��brile de cueillir toutes les ��motions et
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