Le Râmâyana - tome second | Page 2

Valmiky
riches atours,
de bouquets et de guirlandes variées, elles étaient revêtues de robes
différentes par les couleurs et n'étaient pas moins distinguées par la
politesse que par la beauté.
Quand le héros eut comparé la joie de Sougrîva à la tristesse de son
frère aîné, ce parallèle accrut encore plus dans son coeur la puissance
de sa colère. À peine Angada l'eut-il vu irrité comme le roi des Nâgas
ou comme le feu allumé pour la destruction du monde, qu'une vive
émotion le saisit tout à coup, et son visage fut couvert de confusion.
Les autres singes, qui gardaient la porte ou circulaient dans les cours du
palais, s'inclinèrent humblement et leurs mains réunies en coupe devant
Lakshmana.
Ensuite, il vit assis dans un trône d'or, éclatant à l'égal du soleil, couvert
de précieux tapis, élevé au sommet d'une estrade, le roi des singes vêtu
d'une robe divine, enguirlandé de fleurs célestes, frotté d'un onguent
divin et les membres éblouissants de parures toutes divines: on eût dit
l'invincible Indra même incarné sur la terre. Des femmes d'une beauté
supérieure l'environnaient par centaines de mille: telles, sur le Mandara,
de célestes Apsaras font cercle autour de Kouvéra. Lakshmana vit aussi
les deux épouses, Roumâ, qui se tenait à la droite, et Târâ à la gauche
du magnanime Sougrîva. Il vit encore à ses côtés deux femmes
charmantes agiter sur le front du roi l'éventail blanc et le blanc
chasse-mouche aux ornements d'or bruni.
À la vue de cette voluptueuse indolence, à la comparaison qu'il en fit
avec la peine immense de son frère, Lakshmana sentit redoubler sa

fureur. À peine Sougrîva eut-il aperçu Lakshmana, les yeux rouges de
colère, la vue errante de tous les côtés, ridant son visage par la
contraction des sourcils, mordant sa lèvre inférieure sous les dents,
poussant maint et maint soupir long et brûlant, irrité enfin comme le
serpent aux sept têtes enfermé dans un cercle de feux; à peine, dis-je,
l'eut-il vu, les yeux rouges de colère, tenant son arc empoigné, qu'il se
leva soudain et porta les mains en coupe à ses tempes.
Quand le héros fut entré dans son intérieur: «Assieds-toi là!» dit le roi
des singes.
Alors, poussant un long soupir, comme un reptile enfermé dans une
caverne, Lakshmana, retenu par les instructions qu'il avait reçues de
son frère, lui répondit en ces termes: «Il est impossible qu'un envoyé,
roi des singes, accepte l'hospitalité, mange ou s'assoie même, avant
qu'il n'ait obtenu ce que demande son message. Quand le messager,
heureux dans sa mission, a vu le succès couronner les affaires de son
maître, il peut alors, monarque des singes, accepter les présents de
l'hospitalité. Mais comment puis-je recevoir ici les tiens, sire, moi, qui
ne t'ai pas encore vu satisfaire aux voeux du noble Râma?»
Aussitôt qu'il eut ouï ces paroles, Sougrîva de s'incliner devant
Lakshmana et de répondre ainsi, les sens tout émus de frayeur: «Nous
sommes entièrement les serviteurs de Râma aux prouesses infatigables;
je ferai tout ce qu'il désire en échange du service qu'il m'a rendu.
Accepte d'abord, suivant l'étiquette, l'eau pour laver et la corbeille de
l'arghya; assieds-toi d'abord, Lakshmana, dans cet auguste siége;
ensuite je parlerai un langage que tu aimeras entendre.»
Lakshmana dit: «Voici les instructions que m'a données Râma: «Tu ne
dois pas accepter les présents de l'hospitalité dans la maison du singe
avant que tu n'aies accompli ton message.» Écoute donc la mission, que
j'ai reçue; médite-la, singe, et donne-lui dès l'instant, s'il te plaît, une
prompte exécution.»
Ensuite, l'homicide héros des héros ennemis, Lakshmana tint ce
langage mordant à Sougrîva, qui l'écouta même debout, environné de
ses femmes. «Un roi qui a du coeur et de la naissance, qui est

miséricordieux, qui a dompté ses organes des sens, qui a de la
reconnaissance, qui est vrai dans ses paroles, ce roi est exalté sur la
terre. Mais est-il rien de plus cruel au monde qu'un monarque esclave
de l'injustice et violateur d'une promesse faite à ses amis, dont il avait
déjà reçu les services? L'homme qui ment à son cheval tue cent de ses
chevaux; s'il ment à sa vache, il tue mille de ses vaches; mais l'homme
qui ment à l'homme se perd lui-même avec sa maison. L'homme qui
fait un mensonge à la terre, son châtiment frappe dans sa famille et
ceux qui sont nés et ceux qui sont à naître. Il y a, nous dit-on, égalité
entre le mensonge à l'homme et le mensonge à la terre. Le mensonge à
la terre atteint la postérité du menteur jusqu'à la septième génération.
L'ingrat qui, obligé par ses amis, ne leur a jamais payé de retour le
service rendu, mérite que tous les êtres conspirent à sa mort.
«Insensé, tu oublies que naguère, sur le Rishyamoûka, une des plus
saintes montagnes, tu pris
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