Le Pays de lor | Page 8

Hendrik Conscience
ordre. Plus de familiarit�� avec les passagers. Fais savoir aux matelots que le premier qui s'amusera un peu trop avec les ��trangers sera mis aux fers pendant trois jours. Qu'on prenne garde �� mes moindres ordres; je veux rester seigneur et maitre sur mon vaisseau: nous sommes en mer.

IV
EN MER
En effet, la mer resta grosse pendant quatre jours; elle devint m��me plus houleuse �� mesure que l'on avan?a dans le d��troit et que l'on eut �� lutter contre des vents variables. Pendant tout ce temps, les passagers ��taient rest��s couch��s dans leurs cabines, craignant de faire un mouvement, pris de naus��es �� la seule pens��e des moindres aliments, d��courag��s et abattus comme des gens �� moiti�� morts.
La nuit o�� l'on sortit du d��troit pour entrer dans l'Oc��an, le vent imp��tueux s'��tait apais��, et les flots agit��s ��taient devenus plus calmes. Pendant que le Jonas continuait sa route, sous un ciel clair et parsem�� d'��toiles, les passagers ��prouv��rent l'influence du temps favorable. Ils dormirent pour la premi��re fois d'un sommeil r��parateur et bienfaisant, qui fit couler de nouvelles forces et une nouvelle vie dans leurs veines.
C'��tait chose ��tonnante �� voir, quand chacun apparut le lendemain sur le pont, la physionomie souriante, consol��, fortifi�� et gai comme au jour du d��part. Jean Creps et son ami Roozeman n'��taient pas des moins ravis. Victor surtout, en se voyant entour�� d'un horizon sans bornes, leva les bras avec enthousiasme vers le ciel et remercia Dieu, qui l'avait d��j�� rapproch�� du but d��sir��.
Un grand nombre de passagers, voulant c��l��brer leur heureux r��tablissement, coururent sus aux bouteilles pour recommencer la f��te; mais le capitaine, qui se montrait maintenant ce qu'il ��tait, s��v��re, rude et inexorable, leur fit lire un grand nombre d'articles qui d��fendaient tous cris d��sordonn��s et tous rassemblements sur le pont, et ils furent inform��s que toute contravention �� ce r��glement et aux ordres du capitaine serait punie de l'emprisonnement au pain et �� l'eau, �� fond de cale.
Les passagers ��cout��rent cette lecture avec une stup��faction m��l��e de col��re; quelques-uns serr��rent les poings et s'emport��rent contre ces dispositions arbitraires, qui, d'apr��s eux, ne tendaient qu'�� leur ravir tout plaisir et toute libert��; mais le capitaine leur fit comprendre en peu de mots que la loi lui reconnaissait sur son vaisseau une puissance sans bornes; qu'il avait m��me le droit de br?ler la cervelle �� ceux qui se r��volteraient contre lui; et comme quelques-uns re?urent cette explication avec un murmure peu respectueux, il se mit �� jurer si horriblement et �� prof��rer de si terribles menaces, que les passagers virent qu'il parlait s��rieusement et se soumirent enfin �� la n��cessit��. Les matelots ne furent pas beaucoup plus polis. D��s que quelques amis ��taient r��unis sur le pont pour causer, un matelot accourait en tra?nant un cordage, ou un levier, ou toute autre chose, et criait sans respect pour personne:
--Hors du chemin! Gare aux jambes!
Deux ou trois autres, avec une ��gale vitesse, venaient du c?t�� oppos�� et jetaient des seaux d'eau sur le pont pour enlever les traces du mal de mer.
Un troisi��me criait du haut d'un mat:
--Gare dessous! gare dessous, sacrebleu!
Et, apr��s ce simple avertissement, il laissait tomber sur le pont, comme un a��rolithe, une lourde poulie, au risque d'��craser r��ellement quelqu'un.
C'��tait la volont�� du capitaine: il fallait montrer tout d'un coup aux passagers que la vie en mer ne peut pas ��tre une ��ternelle f��te, et les matelots, pour d��truire toute illusion �� cet ��gard, devaient faire leur service sans se retourner et comme s'il n'y avait absolument que l'��quipage sur le navire.
Vers midi, les passagers furent appel��s sur le pont. Le capitaine d��clara qu'on allait les diviser tous en compagnies de huit hommes, pour d?ner ensemble d��sormais dans un plat de fer-blanc ou gamelle. Il lut ensuite une liste des passagers, et, chaque fois qu'il avait nomm�� huit hommes, il criait:
--Premi��re gamelle! Deuxi��me gamelle! Troisi��me gamelle!
Et, quand cet arrangement fut termin��, malgr�� les murmures et les plaintes, le capitaine leur fit comprendre que dor��navant le pain frais et le peu de volailles qui restaient encore seraient r��serv��s pour les malades. Les passagers devraient donc se contenter de la ration de mer journali��re, savoir: de la viande sal��e, des pois ou des f��ves, des biscuits, une petite mesure de geni��vre et un litre d'eau potable. Chaque gamelle devait, �� tour de r?le, d��signer pour la semaine un de ses membres qui irait �� la cuisine chercher le d?ner pour les autres.
Imm��diatement apr��s, on sonna la cloche pour la distribution des vivres. On voyait courir de tous c?t��s des hommes avec des plats en fer-blanc pleins d'une nourriture fumante... et, quelques minutes apr��s, tous les passagers se trouvaient r��unis autour des gamelles.
C'��taient de singuliers convives que le sort avait donn��s �� Victor et �� son ami Jean: un procureur de la r��publique fran?aise, qui s'��tait
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