francs pour celui en faveur duquel elle avait ��t�� pratiqu��e; car on recevait le prix du voyage de cinquante passagers que, d'apr��s les dispositions de la loi, l'on ne pouvait pas prendre �� bord.
L'accumulation de tant de monde pouvait ��tre une cause de grande g��ne; mais le capitaine semblait s'en inqui��ter fort peu. Il r��pondit �� une remarque de son pilote:
--Cela ira, Corneille. Il y a assez de provisions; on diminuera la ration; si c'est n��cessaire.
--Mais l'eau, capitaine? Il n'y en a pas la moiti�� de ce qu'il faut pour tant de monde!
--Je le sais, Corneille. Cela prend trop de place; nous renouvellerons notre provision dans le premier port d'Am��rique.
--Les passagers ne seront pas peu ��tonn��s de l'arriv��e de tant de nouveaux compagnons...
--Bah! cela importe peu, si nous pouvons seulement pr��venir les plaintes jusqu'�� ce que nous soyons sortis de l'Escaut... Une fois en pleine mer, je saurai bien leur fermer le museau.--Dis �� Jacques, le cuisinier en chef, d'allumer le feu tout �� l'heure et de faire cuire des biftecks pour tous. On leur donnera �� leur d��jeuner un bon verre de rhum. Tu verras, Corneille, la venue de ces nouveaux compagnons ne fera que les r��jouir. Veille �� ce que tout soit pr��t pour lever l'ancre �� la premi��re lueur du jour. Le batiment doit ��tre sous voiles avant que les passagers aient quitt�� leurs cabines.
Le pilote se dirigea vers l'autre extr��mit�� du pont pour aller trouver le cuisinier en chef; il se frottait les mains en marchant et chantonnait entre ses dents:
Plus on est de fous, plus on rit! Plus on est...
Mais le capitaine, irrit�� de cette raillerie, interrompit la chanson en criant:
--Tais ton bec!
--Oui, capitaine.
III
SUR L'ESCAUT
Lorsque la plupart des voyageurs parurent sur le pont, le Jonas avait d��j�� fait deux ou trois lieues de chemin. Quelques-uns t��moign��rent bien leur ��tonnement �� la vue de tant de nouveaux compagnons, et plusieurs m��me sembl��rent soup?onner la fraude; mais le capitaine leur fit croire que c'��taient des voyageurs attard��s compris dans l'��quipage, qui avaient manqu�� le convoi et ��taient ainsi arriv��s trop tard. Les succulents biftecks et le bon coup de rhum convainquirent les plus d��fiants; et, comme les nouveaux venus paraissaient ��tre de gais compagnons, on oublia bient?t leur arriv��e inopportune et on chanta, comme avait fait le pilote:
?Plus on est de fous, plus on rit!?
La joyeuse vie recommen?a; on dansa et sauta de nouveau.
Cette fois, cependant, Donat Kwik n'eut pas grande envie de partager la joie g��n��rale. Les deux Anversois le trouv��rent tristement assis dans un coin, la t��te dans les mains, et Victor lui demanda par compassion ce qu'il avait.
--Je suis malade, messieurs, r��pondit le paysan, malade comme un cheval, de la bi��re d'orge d'Anvers, du geni��vre brun que cet empoisonneur de capitaine m'a fait boire hier au soir. Ah! ma pauvre t��te! Il y a l�� dedans trois ou quatre hommes occup��s �� battre le bl��. Que ne suis-je en ce moment dans notre grenier �� foin de Natten-Haesdonck! Car en bas, dans cette ��table de cochons, une marmotte m��me ne pourrait dormir. Toute la nuit j'ai eu le cauchemar. Il y avait sur mon estomac un bloc d'or grand comme une meule... Ce maudit geni��vre du capitaine! A?e! a?e! Ma poitrine br?le; je ne donne plus dix sous de ma vie!
--C'est une suite naturelle de votre ivresse, dit Jean en raillant; c'est �� vous seul qu'il faut vous en prendre; puisque vous l'avez bu, vous devez le cuver avec patience.
Victor, qui ��tait tr��s-compatissant, lui prit la main et le consola en lui promettant que son mal gu��rirait bien vite.
--Puis-je savoir, s'il vous pla?t, �� qui j'ai l'honneur de parler? demanda Donat.
--Je me nomme Victor Roozeman.
--Et ce monsieur-l��?
--C'est mon ami Jean Creps.
--Eh bien, monsieur Roozeman, je vous remercie du fond de mon coeur de votre bont��. J'ai ��t�� grossier et stupide hier, n'est-ce pas? Pardonnez-le-moi, messieurs, cela ne m'arrivera plus. Je sais lire et ��crire, je suis bien ��lev�� et je connais mon monde. Lorsque je serai gu��ri, permettez-moi d'��changer de temps en temps une parole avec vous. Il faut toujours que je cause avec moi-m��me, et je ne suis pas assez ��loquent pour y trouver du plaisir... Oh! mon Dieu, ma t��te, ma t��te br?le!
Les deux amis lui dirent encore quelques paroles encourageantes, et continu��rent leur promenade.
Pendant ce temps, le Jonas, pouss�� par un vent frais, descendait majestueusement l'Escaut.
L'essaim des passagers ��taient encore plus agit�� que la veille. On avait d?n�� pour la premi��re fois sur le navire, un d?ner abondant et app��tissant: du rosbif et des l��gumes frais pour tous, et m��me quelques poulets r?tis pour les d��licats des deux premi��res classes. L��-dessus, les passagers avaient pris leur ration de vin ou de liqueurs fortes, et, sous l'influence de cette l��g��re ��motion qui, chez quelques-uns, d��g��n��rait en une ivresse compl��te, les esprits ��taient
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