Le Pèlerin du Silence | Page 4

Remy de Gourmont
des fleurs fleurantes et des cinnames, Pour ranimer le
coeur de mon Roi qui se pâme, Des cinnames pour son âme et des
fleurs pour son coeur!»

Zaël songeait à des paroles de son maître: «Si tu trouves le
Désintéressement et qu'il ait des vêtements d'homme, prosterne-toi le
front dans la poussière. S'il a des vêtements de femme, prends cette
femme et rentre en ta maison.»
Ayant songé, il tira sa bourse et la vida dans la robe entr'ouverte, mais
la jeune fille secoua sa robe et pleura.
Alors, Zaël rompit son voeu;
«Viens, tu es Celle que je ne cherchais pas. Viens, et dis-moi ton nom.
--Mon nom est Amante et je t'aime.
Dans l'adorable silence des vallées endormies, Zaël pour la première
fois buvait un peu d'âme, et Amante, amoureusement, picorait les
pièces d'or et une à une les fourrait dans sa chevelure.
Ils étaient deux: au plus creux de la vasque sableuse, deux rivières
joignaient leurs eaux confluentes, la verte Spincha, douce et trouble au
printemps, non moins qu'un oeil de femme, et l'Agi, noir torrent salé.
Ils étaient deux: sur les coupoles les arbres faisaient de la dentelle: Ali
la jaune, Hassein couleur de rouille, Cazem la toute blanche, et des
lunes brisées brillaient sur tous les dômes.
Ils étaient deux: le blond troupeau bourdonnait autour du fier sultan, du
sultan aux cornes d'argent: c'était Tauris, courtisé de plus de collines
que l'amour n'amène d'amoureuses, que la peur ne presse de peureuses
aux flancs du mâle flamboyant.
«Vous êtes deux, dit Yezid, avec une ironie qui troubla Zaël, vous êtes
deux?...
«REGARDE EN TOI-MÊME ET TAIS-TOI.»

LE FANTÔME

[Grec: chai Thêaôrhô aôssou]
THÉOPHILE D'ANTIOCHE
PORTAIL
Aux matines de notre amour le ciel fut blanc et miséricordieux: les
mamelles sidérales épandaient vers nos lèvres le lait très intègre du
premier rafraîchissement, et vers nos yeux, les prunelles polaires, la
grâce d'une lumière équivalente à la transparence de nos désirs.
Notre éveil avait été par des cloches qui sonnaient délicieusement en
nos têtes et nous appelaient hors de nous: elles sonnaient en nos têtes et
au-dessus de la ville, comme tous les jours, et cependant nous ne fûmes
pas dupes de l'habitude des cloches crépusculaires. Nos âmes
obéissantes et joyeuses se rendirent aux irrévocables matines: les corps
frileux attendaient encore encapuchonnés de sommeil, inquiets, mais
consolés au fond de leur chair par un espoir de réunion, et la solitude
fut tolérable sous la grâce du ciel blanc et miséricordieux.
Verset.--Ta jeunesse s'est levée d'entre ses soeurs et elle est venue à
moi. Je ne te connais pas, ô soeur, et ton essence me fait peur. Et
pourquoi viens-tu toute nue? Le corps est la pudeur de l'âme: va te vêtir,
car tu confonds mon innocence et tu excites en mon essence la
concupiscence de l'amour pur.
Répons.--Je veux baigner dans les eaux fraîches de ta pensée, ô soeur,
la nudité de mon désir. Tu connaîtras mon essence si tu m'admets en ta
profondeur. Laisse-moi: je tomberai comme une pierre tranchante sur
ton sein à jamais blessé, et doucement j'irai au fond de toi et tu
saigneras si haut que les hautes feuilles en seront éclaboussées d'amour.
Verset.--Pourquoi veux-tu faire saigner d'amour l'immatérialité de ma
paix? O soeur folle et cruelle, je n'ai ni sein, ni sang, et tu n'as ni
tranchant ni pesanteur. Nous sommes plus intouchables que la trace de
l'oiseau dans l'air et plus invisibles que l'odeur des roses. Je veux bien
t'aimer, ô soeur folle, mais va te vêtir, que je te voie!

Répons.--Mais tu es nue, pauvre âme, aussi essentiellement nue que
moi-même, et tout n'est que métaphore. Si je revêts mon corps, que
feras-tu de mon corps, et de quels yeux contempleras-tu mes yeux?
Antiphone.--L'essence est essentielle et la forme est formelle, mais la
forme est la formalité de l'essence.
Cantique.--Nous mettrons les sept roses aux sept clefs de la viole et
l'arc-en-ciel sera les cordes.
Respire mon odeur, ô coeur, je suis odorante et mourante, la mort des
roses en est la cause.
Respire mon haleine, ô reine, je suis amoureux et peureux, j'ai peur de
ton bonheur, ô fleur!
Écoute mes soupirs, ô sire, mes soupirs ont brisé la viole aux sept
cordes, mais j'en ferai sept autres avec mes sept désirs.
Écoute mes paroles, ô folle, tes paroles ont brisé les cordes de mon
coeur, mais j'en ferai sept autres avec tes sept soupirs.
Regarde dans ma joie, ô roi, les fleurs sont mortes, la viole est morte,
tout meurt excepté toi.
Regarde dans mon ciel, ô belle, les sept couleurs sont mortes de joie,
tout meurt excepté toi.

LE PALAIS DES SYMBOLES
La forme est la formalité de l'essence: nous acquiesçâmes à cet
aphorisme antiphonaire que les voix célestes n'avaient pas nié et nous
nous apparûmes réels, c'est-à-dire équilibrés selon
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 38
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.