espèce de jury de vieillards, fut exécutée d'une manière atroce pendant mon séjour à Boni. On la barbouilla de miel de la tête aux pieds, et puis on l'attacha au tronc d'un, gommier. Des essaims de moustiques et de maringouins s'introduisirent dans ses oreilles, ses narines et ses yeux, et la dévorèrent au sein des tortures les plus effroyables. Deux jours après, le cadavre de cette infortunée ne présentait plus qu'une masse informe, couverte de myriades d'insectes sanglans. Ce genre de supplice s'appelle dans le pays l'arbre à moustiques.
Lorsqu'un nègre est condamné à subir l'épreuve de mort, pour un délit quelquefois assez léger, on lui fait avaler un brevage empoisonné dont l'effet est si prompt que le condamné tombe raide avant d'avoir tari la coupe fatale. Quand la culpabilité du prévenu para?t douteuse à ses juges, on lui présente un breuvage qui n'est pas mortel, et après l'avoir bu sans danger pour sa vie, il est réputé innocent. C'est le jugement de Dieu de ce pays, et les juges ont toujours soin de préparer l'épreuve de manière à ce que le ciel prononce dans le sens de leur opinion.
Le plus souvent on donne les condamnés à mort à dévorer aux requins, en les précipitant dans le fleuve, dont les eaux ne sont que trop fréquemment ensanglantées par de pareilles exécutions. Il est à remarquer que les requins de la c?te d'Afrique sont les plus voraces parmi tous les animaux de leur espèce. Ceux de ces parages ont une tête deux fois plus volumineuse que les poissons du même genre que l'on voit dans les mers des Antilles ou sur la C?te-Ferme!
King-Pepel, sur la foi des traités, s'était déjà emparé de presque toute ma cargaison, et les trois cents esclaves qu'il devait me donner en échange n'arrivaient pas. Les fièvres inexorables du pays commen?aient à s'emparer de mon équipage, dont le climat avait déjà affaibli l'énergie. Il me fallut cependant recourir bient?t à cette énergie, et oublier mon propre découragement.
Des nègres arrivant du bas du fleuve, dans leurs pirogues rapides comme le vent, crient un matin, en passant le long de la _Rosalie: Anglais! Anglais! Gaberon?_ Je n'eus que le temps de me préparer à repousser l'attaque que les noirs m'annon?aient si subitement. Deux longues péniches, expédiées par la corvette qui m'avait vu entrer à Boni, se montrent dans le fleuve, à petite distance, chargées de monde. Je crie à terre dans un porte-voix: _King-Pepel, les Anglais violent ton territoire_! Aussit?t des nègres se portent sur une mauvaise batterie, placée à terre dans le sable. Mes hommes, abrités sous ma tente, se disposent à combattre les Anglais, harassés par une longue nage et par la chaleur asphyxiante du jour. Le feu commence et le pavillon tricolore flotte sur la Rosalie: c'est sous cette couleur-là que des Fran?ais libres de toutes leurs actions devaient combattre.
Les deux canots, après avoir essuyé mes deux volées à bout portant, m'abordèrent bravement. L'un d'eux, traversé de boulets, coule le long de la Rosalie. L'officier qui commande l'autre embarcation me crie d'amener. Je lui réponds: ?Accordez-moi deux minutes pour consulter mon équipage.? Mon équipage murmure, je l'apaise d'un signe. L'officier consent à me laisser un moment de répit. Je donne le mot à mes gens.--Je suis amené, dis-je alors au lieutenant anglais; et au même moment tout mon équipage saute, comme pour abandonner le corsaire, à bord de la péniche. ?Restez à bord, restez à bord, nous crient les Anglais: _vous allez nous chavirer_!? C'était bien là mon plan: le poids inattendu de tout ce monde se précipitant du même bord, fait cabaner l'embarcation, et mes Anglais, surpris et effrayés, s'ab?ment sous les flots, pendant que mes hommes, disposés à nager, regagnent bord en ricanant avec férocité du succès de mon stratagème. Quelques uns de mes assaillans surnageaient encore, je détournai la vue: les requins du fleuve firent le reste.
Les cris de joie de la multitude des nègres témoins de notre triomphe, nous étourdirent pendant plus d'une heure. Le soir la Rosalie fut entourée de plus de cent pirogues couvertes de branches de palmier et de fleurs. Les marabouts jetèrent encore une fois de l'eau lustrale sur les bordages ensanglantés du navire. Deux hommes que j'avais perdus dans l'action furent enterrés dans le sable avec les honneurs réservés aux hauts dignitaires. Pepel, en me revoyant à terre tout couvert de poudre et de sang ennemi, m'embrassa avec transport, et me montrant le pavillon tricolore de la Rosalie, il s'écria: ?Lancoute Nabolone, bone! La ceinture de Napoléon est bonne.?
Peu de jours après l'affaire qui avait rempli d'admiration tous les habitans de Boni, je vis arriver, dans un tourbillon de sable, quelques filées de nègres attachés par le cou à de longues perches. C'était ma cargaison.
Bien vite je préparai ma cale à recevoir mes trois cents nouveaux h?tes. Les
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