il baisa à plusieurs reprises le portrait de Napoléon.
L'interprète me demanda ensuite si je n'avais pas d'antres images représentant le grand Gacigou de France. Je lui répondis que je n'avais que des portraits de Louis XVIII.
A ce mot de Louis XVIII, la figure de S. M. se contracta vivement, comme pour exprimer un sentiment de dégo?t; puis j'entendis sortir de sa bouche auguste cette exclamation très-distincte:
Lououis Zuit pas, no, no potate, patate[3]!
[Note 3: Tous ces détails sont historiques, et j'ai lieu de croire que la vérité du fonds fera excuser la vulgarité de la forme.]
Je saluai S. M. avec un sourire respectueusement approbatif. Le drogman me prévint qu'on allait verser du poison dans un verre, et que S. M. m'inviterait à l'avaler, pour prouver la confiance, que j'avais en elle.
Du poison en poudre, dont l'acrimonie m'affecta péniblement l'odorat, parut être en effet jeté dans une coupe d'argent remplie de vin de palme: je pris fièrement le breuvage, et, plein de confiance, je l'avalai d'un trait. Après quoi les grands officiers de la couronne se mirent à rire aux éclats au tour qu'ils avaient cru me jouer: ils m'entourèrent tous en dansant. Le roi descendit solennellement de son fauteuil; on m'annon?a que j'étais agréable à Pepel, et la farce d'introduction se trouva jouée.
La permission de construire un baraquon, pour y déposer mon chargement, me fut accordée. En quelques heures, mes charpentiers élevèrent près du rivage un édifice en planches, dont la magnificence égala au moins celle de la royale case de Pepel. Les visites ne me manquèrent pas, et les grands officiers, que je recevais à toute heure du jour, ne tardèrent guère à boire une forte partie de ma provision d'eau-de-vie. King-Pepel venait sans fa?on partager ma table; je lui rendais familiarité pour familiarité. Il s'occupait de me composer, disait-il, un beau chargement, des noirs qu'il attendait de l'intérieur.
Quel pays neuf et surprenant que cette c?te de l'Afrique occidentale! Que de moeurs inconcevables chez ces nègres si complètement ignorés en Europe! Quelles bizarres modifications de l'espèce sociale, et des superstitions humaines, dans ces états encore enfans, malgré leur longue existence!
Je voulais tout voir dans Boni. On me trouvait à chaque instant, malgré la chaleur étouffante d'un air de feu, dans les lieux où se réunissaient les naturels. Et puis je n'étais pas faché de montrer ma physionomie européenne, au milieu de ces peuplades à la peau d'ébène, au visage déprimé et à l'attitude esclave. Quel effet je produisais sur tous ces visages noirs qui m'admiraient comme une merveille! ?Voyez là, voyez là, s'écriaient-ils dans leur langage volubile, quel beau chef! _C'est un roi de matelots savans_.? Toutes les plus belles négresses s'enorgueillissaient d'avoir obtenu de moi un regard sur mon passage, ou un sourire pour prix des nattes de fruits qu'elles me présentaient comme un hommage d'amour ou un tribut d'admiration.
Un jeune noir, vêtu de blanc de la tête aux pieds, et suivi respectueusement par des marabouts, avait frappé mon attention. Je l'avais souvent vu dans les marchés s'emparer de tous les objets qui lui plaisaient, et battre impunément les marchands, satisfaits de recevoir des coups de baton de ce méchant petit dr?le. Un jour il lui prit fantaisie de m'aborder insolemment, et je me disposais à le fustiger avec la rigoise que j'avais à la main; à la vivacité de mon geste et à l'expression de ma physionomie, les marabouts, devisant mon intention, tombent à mes pieds, et l'enfant fuit épouvanté. Frétiche! Frétiche! hurlent tous les assistans, et les prêtres de me jeter de l'eau; pour me purifier. Un drogman m'expliqua que je venais de manquer d'assommer le palladium vivant du royaume, le Dieu sauveur du pays, le Frétiche enfin.[4]
[Note 4: Tous les voyageurs écrivent Fétiche. J'ai toujours entendu les Guinéens et les négriers prononcer Frétiche; et, comme ce sont les naturels qui ont formé ce mot, je l'écris ici de même qu'ils le prononcent.]
Ce Frétiche est un beau petit noir, que l'op prend en bas age pour en faire un Dieu. Ses adorateurs le logent dans une case aussi bien ornée que celle du roi; et pendant sa céleste enfance, il a le droit de faire tout ce qui lui pla?t, sans qu'on puisse regarder ses caprices les plus déréglés comme autre chose que des volontés divines. Mais une fois parvenu à l'age de treize ans, le Frétiche éprouve bien cruellement qu'il n'est pas immortel, car alors toute la population, embarquée dans les pirogues, le conduit avec solennité vers la barre, pour le plonger religieusement dans les flots: les requins en font leur pature.
Les prêtres, chargés d'élever cette malheureuse victime de l'homicide superstition des nègres, ont soin de persuader au Frétiche qu'aussit?t qu'il aura été plongé dans les flots, il n'en sortira que pour être Dieu ou tout au moins roi.
Une misérable négresse, condamnée à mort par une
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