Le Négrier, Vol. II | Page 9

Édouard Corbière
naturalisé en France, par son
intrépidité et ses courses célèbres dans la Manche. Je veux, dit-il, vous
en raconter une adventoure, qui me rappelle celle qué vient dé vous
dire le capitan Niquelet.
Confession du capitaine Ribaldar.
«J'étais toumbé la nouit, avec ma goëlette la Revance, dans _un
counvoi dé bâtimens qui venaient dé la Zamaïque, comme on dirait un
loupe dans une vergérie. Les frigates qui escourtaient le counvoi_, mé
prirent pour un bâtiment anglais, par la raison que jé faisais coume les
austres, les signals qu'il fallait répétitionner. Vers lé soir, j'aborde un
grand trois-mâts, qué j'avais choisi bien gros et bien sargé. Vous
m'abordez, qué mé dit lé capitaine anglais: par Diou, jé crois bien que
jé t'aborde, qué jé lui dis; jé té fiche à la mer si tu dis un soul mot; il sé
tut et jé mis à son bord vingt bons gaillards. Une heure après, jé me
laisse culer sur la quoue dou counvoi, et z'aborde, coume par mauvaise
manouvre encoure, oun autre gros papa dé navire: Vous m'abourdez,

me dit encore lou bêtasse dé capitane: touzours la même çanson, que ze
mé dis; en cé cas touzours la même réponse. Oui, canaille, qué zé
t'aborde, que zé loui dis. Il vut faire lou meçant; zé lé fais zeter
par-dessous lou bord, por nou pas faire _do bruit. Las frigatignes quez
escourtait lou counvoi fount dos signals par la nouit; mes dos prisès
repetitionnent los signais coume los austros_ bâtimens anglaisès. Mas
oune fois la nouit vénue, zé t'en fice, va! Moun coursaire et los dos
prisès laissent là los counvoi et forcent dé voile, bougre... Si z'avais ou
doscents houmes, z'aurais fait vingto prisès; zè les prénais conme aum
assoume des veaux marins, à coups dés bâtouns.»
--Mais en rentrant à Tréguier avec vos deux prises, demanda le
capitaine Niquelet à Ribaldar, n'eûtes-vous pas une affaire avec un
lougre de Jersey?
«Ah! si parblu! Une petite bamboce militare! Cé pétit coquin dé lougre
voulut tâter dé mes prises. Zé lé croçais à l'abourdage pour arrêter oun
pu sa marce. Il me toua quinze houme; zé n'en avais plus qué trente à
bord; si z'en avais eu soixante, il m'en ourait toué trente; mais j'ourais
pris lé pétit bougré. Il sé sépara dé moi avec zoie. Une vraie bamboce
militare!»
Quand le capitaine Ribaldar eut fini, et qu'il eut avalé un demi-bol de
punch, avant de rallumer sa pipe, les auditeurs s'écrièrent: A votre tour,
capitaine Polletais! Le vieux marin dieppois se gratta l'oreille, sous son
bonnet rouge; et, assez embarrassé de commencer sa narration, il
s'exprima cependant ainsi:
Confession du capitaine Polletais.
«Mes bonnes gens, je ne sais pas trop ce que je vous dirai. J'ai fait bien
des petites bourdes aux Anglais: on a tant d'peine à gagné sa pauvre vie
dans c'monde et à la mer surtout. Nous autres pauvres pêcheurs je ne
sommes pas bien malins, voyez-vous, mais je fesons pas moins
queuquefois not'petit bonhomme de chemin, quand l'bô Dieu veut nous
le permettre. Je vous dirai donc, pour vous dire queuque chose, que les
Anglais n'ont pas touzours beau
zeu à s'risquè avec nos corsaires ed'la
Mance et du Pas-d'Câlais.

»Une corvette voulut me chasser sur l'grand lougre que v'savez vu et
que je viens d'mouiller su le chenal. Je laissai tomber m'n'ancre sû la
côte d'Somme en dedâns des bancs à vue d'l'Anglès.
»La corvette n'pouvant point m'approcè, armit trouais embarcâtions
pour veni m'abordé dans la nuit. Z'fis faire à bord mes filets d'abordâze,
et puis z'avais dès doubles filets, Vsavez biè ce que c'est qu'des doubles
filêts, ze pense? C'est-z-une manière d'grands filêts qu'on tend en
dehors du navire, comme si c'étaient d'séventails qu'auraient des
boulets au bout pour les faire tombé comme des pièzes à attraper des
renârds. Les _trouais pénices anglaises m'abourdirent à nuit et à minuit,
creyant_ qu'à l'heure où se relevait le quart, il y aurait d'la confusion
à-bord. Z' lès fis sâler un petit brin à coups d'fûsil et d'espingole. Mais
c'fut quand ze commandè d'laisser tombé lès doubles ***, filêts sur les
pénices qu'ça fut un drôleu d'çarivari, m's amis! Tous _l's' Anglès
étaient happés comme des mélans dans eune_ seine. I's'
débarbouillaient comme des pessons dans des appléts. Voyons que ze
dis à nos zens: il faut les faire défilé la parade, et les mette un à un dans
la câlle. C'qui fut dit fut fait, et biè vîte; et toute c'te mauvaise enzeance
fut arrimée sous clé, les panneaux et écoutilles
biè fermés. Avec c'te
belle fîçue cargaison, _ze m'dis: Zean Micel Pelletais, tu seras biè
mâlin si tu fais queuque çose d'bon!_»
Tous les auditeurs se mirent à rire à celle saillie plaisante du vieux
corsaire dieppois, qui continua:
«Attendez donc, m's'amis; c'n'est point l'tout, ze dis à mes
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