s'étendit bient?t sur une des mers les plus calmes que j'aie vues en hiver, favorisa mon projet, au-delà de mes espérances. Je fis border mes avirons, que j'eus soin de faire garnir au portage, avec de l'étoffe, pour ne pas interrompre, par le bruit de la nage, le silence qui m'était si favorable, et je gouvernai sur le point où j'avais relevé l'ennemi. Quand je me supposai près du trois-mats, je jetai l'ancre. En un clin d'oeil, mon grand canot fut armé des hommes les plus intrépides du corsaire. Je fis prendre à mon frère, qui commandait la petite expédition que je préparais, le bout d'une drisse de bonnette, dont j'amarrai une des extrémités à mon bord, et je lui dis: ?Fais ce que tu pourras; avec le bout de cette amarre, tu reviendras toujours à bord du corsaire, malgré la brume, quand tu le voudras. Si tu réussis à enlever le trois-mats, tu auras soin de m'en avertir, en hallant l'amarre que je tiens à bord, par trois fois de suite et à cinq minutes de distance. Bonne réussite! Vous avez tous des poignards et pas de pistolets, c'est vous dire assez la consigne: Lestement et pas de bruit.?
?J'avais recommandé à mon frère de nager toujours contre le fil du courant, parce que j'avais eu la précaution de me mouiller dans les eaux du trois-mats. Mon frère, pour plus de prévoyance, avait eu aussi l'idée de prendre avec lui un panier rempli de bouchons, qu'il devait jeter à la mer pour me prévenir aussit?t qu'il serait arrivé sur l'arrière du navire anglais.
?Il y avait à peine un quart d'heure que notre canot nous avait quittés, que le courant, qui passait le long de notre bord, nous apporta des bouchons flottans. C'est cela, me dis-je; L'amarre frappée à bord, et dont mon frère avait pris le bout, ne tarda pas à frémir. Nous l'entend?mes avec joie frapper la mer sur laquelle une légère pression l'éleva par trois fois. Aussit?t, j'ordonne de lever l'ancre à jet, sur laquelle j'étais mouillé, et je fais haller mon corsaire sur l'amarre, que je savais bien être fixée à bord du trois-mats. En quelques minutes je fus le long du navire; mes gens sautèrent à bord sans obstacle. Je ne trouvai sur son pont que ceux de mes hommes que j'avais envoyés dans mon canot pour le coup de main. Mon frère me raconta qu'étant arrivé sans être vu ni entendu, sur l'arrière du batiment, il était parvenu à grimper avec trois des siens par les ferrures du gouvernail et par le couronnment, jusque sur le gaillard d'arrière. Deux Anglais veillaient seuls sur le pont: se jeter sur eux, les précipiter dans la calle, fermer le capot de la chambre où dormaient le capitaine et les officiers, et le logement de l'équipage où étaient les autres hommes, ne fut que l'affaire d'un instant. Ma?tre du trois-mats, je fis passer mes quatre-vingts meilleurs matelots sur la prise. J'ordonnai à mon second de filer avec le corsaire, et de me laisser à bord de ma capture. Nous attend?mes ainsi le jour.
?Ce jour désiré vint enfin, et il dissipa la brume qui toute la nuit avait caché ma manoeuvre. Le petit brick de guerre sur lequel le trois-mats avait gardé une amarre, nous cria d'appareiller, croyant toujours avoir affaire au capitaine qu'il escortait. Je fis, en effet, virer sur mon cable, pour exécuter l'ordre; mais en appareillant, j'eus soin d'aborder, comme par maladresse, le brick qui mettait aussi sous voiles. A peine le capitaine du brick e?t-il commencé à jurer contre ma mauvaise manoeuvre, que tous mes forbans, couchés à plat-ventre à l'abri des pavois, sautèrent à bord de l'ennemi. Une grêle de coups de poignards et de pistolets fit l'affaire. Les Anglais surpris ne purent se défendre qu'à coups de poing, contre mes corsaires, disposés à l'attaque et armés de pied en cap. Deux jours après cette escobarderie de flibustier, j'étais mouillé à Perros, avec mes deux prises; mais mon maladroit de second, qui n'avait qu'à courir avec un bon marcheur sous les pieds, pour gagner la terre, s'était fait prendre par une corvette.?
La petite bamboche, il est bien bonne, s'écria le capitaine Ribaldar, Portugais à l'accent plus que gascon, naturalisé en France, par son intrépidité et ses courses célèbres dans la Manche. Je veux, dit-il, vous en raconter une adventoure, qui me rappelle celle qué vient dé vous dire le capitan Niquelet.
Confession du capitaine Ribaldar.
?J'étais toumbé la nouit, avec ma go?lette la Revance, dans _un counvoi dé batimens qui venaient dé la Zama?que, comme on dirait un loupe dans une vergérie. Les frigates qui escourtaient le counvoi_, mé prirent pour un batiment anglais, par la raison que jé faisais coume les austres, les signals qu'il fallait répétitionner. Vers lé soir, j'aborde un grand trois-mats, qué j'avais
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