nous parlions ensemble de je ne me rappelle pas quoi, il t'est
échappé de me répondre: non, je ne la suis pas!
--Eh bien! qu'est-ce que cela prouve? me dit mon interlocuteur, tout
décontenancé.
--Cela prouve que tu n'es pas un garçon!
--Enfant que tu es! Quelle idée!...
--Je te parie que tu es une femme, et je m'en rapporte à maître Philippe
qui vient, et à qui j'ai dit déjà....
--Au nom du ciel, tais-toi, malheureux.... Si tu savais combien je
souffre...? Tu viens de découvrir un stratagème qui, s'il était connu,
m'exposerait à devenir la risée de tous ces hommes qui me font peur...
Je suis... je suis la femme du capitaine d'armes... Pour le suivre, il a
fallu me faire passer pour son parent, pour son cousin. Que sais-je,
moi!.. Tu sauras tout; mais tu me promets bien de ne pas trahir la
confiance que j'ai mise en toi? Tu m'as toujours paru mieux élevé que
ces matelots, au milieu desquels je vis pour mon malheur. Tu te tairas,
n'est-ce pas, mon ami?... Tu ne voudras pas me perdre tout-à-fait?...»
Des larmes apparemment roulaient dans mes yeux comme dans les
siens, car elle passa doucement sur ma figure, la main dont elle venait
de se presser les paupières. Je promis tout. Mais petit Jacques me
recommanda bien d'éviter les conversations que nous avions ensemble,
et qui avaient commencé à piquer la jalousie de son mari. Je me
rappelai, en effet, que le capitaine d'armes m'avait souvent menacé de
me donner quelques tappes, pour me punir des torts que j'étais bien en
peine de deviner. Les aveux de petit Jacques venaient de m'expliquer la
haine du capitaine d'armes pour moi. Je compris la nécessité d'être
prudent pour mon petit camarade et pour moi.
2.
LA CROISIÈRE.
Acalmie.--Combats.--Amours.--Le capitaine Bon-Bord.--Le matelot
Ivon.--Histoire de petit Jacques.--Prise d'un navire anglais.--Son
explosion.--Tisozon.--L'ile de Bas.
Après avoir essuyé quelques heures de cape, reçu plusieurs coups de
mer, nous éprouvâmes ce qu'on appelle une acalmie, un de ces momens
de transition entre la tempête qui expire et le beau temps qui veut
revenir. Pendant la violence de la bourrasque, un brick, fuyant vent
arrière à mâts et à cordes, au risque de s'engloutir sous chacune des
lames qui le poursuivaient, avait passé près de nous, enveloppé dans le
nuage de molécules d'eau que l'effort du vent faisait voler comme de la
fumée sur les lames blanchissantes; mais la fureur de la tempête nous
avait empêchés de tomber sur cette proie qui nous avait échappé dans le
désordre des élémens.
Il n'est peut-être pas de position plus pénible à la mer, que celle dans
laquelle on se trouve à la suite d'un coup de vent, lorsque le bâtiment,
n'étant plus couché par la force de la brise irritée, se voit assailli par de
grosses lames qui, se heurtant avec lourdeur, semblent se le disputer
comme pour le démolir dans leur choc. Tout se brise, tout craque à bord,
et les pièces dont le navire est composé, et les objets d'arrimage qui
jouent avec effort. Le gréement fatigue, se détord et se rompt; la mâture
reçoit, dans le roulis et le tangage, des secousses horribles qui ébranlent
la coque. Le navire, fatigué dans toutes ses parties, devient pour ainsi
dire l'objet de la fureur dernière des flots harassés par la tourmente. Il
faut qu'une brise s'élève sur le sommet des vagues pour les niveler et
rendre à la mer, encore si violemment émue, ce mouvement uniforme
qu'a détruit le délire de la tempête.
Un joli frais de Nord-Est ne tarda pas à se faire sentir et à nous
permettre de manoeuvrer et de faire de la toile. Rien ne peut peindre
peut-être le bonheur que répand au milieu de l'équipage, un beau jour
succédant à une nuit de mauvais temps et de fatigues. C'est une des plus
douces joies des hommes de mer, que de revoir un ciel serein sortant du
sein de la tempête qui fuit en grondant et comme irritée d'avoir manqué
sa proie.
Nous nous trouvions près des Açores. Le point du capitaine nous
indiquait le voisinage de ce petit archipel. La quantité de goëlands et de
mauves qui voltigeaient autour de nous, et les nuages qui paraissaient
s'amonceler comme pour aller couvrir au loin la terre, auraient suffi, à
défaut d'autres indices plus sûrs, pour nous signaler l'approche des
parages où nous voulions établir notre croisière. Nous espérions faire,
dans ces latitudes, quelques bonnes rencontres. Nous crûmes bientôt
avoir trouvé ce que nous cherchions.
Vers le milieu de la journée qui avait suivi notre coup de vent, les
hommes placés en vigie au haut des mâts crièrent, Navire!
--Où? demanda le capitaine.
--Sous le vent à nous! répondirent les vigies.
Ces mots firent succéder le calme le plus profond au tumulte des
conversations
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