Le Monde comme il va, vision de Babouc | Page 5

Voltaire
un des plus superbes temples de la ville; il s'assit au milieu d'une troupe de femmes et d'hommes qui ��taient venus l�� pour passer le temps. Un mage parut dans une machine ��lev��e, qui parla long-temps du vice et de la vertu. Ce mage divisa en plusieurs parties ce qui n'avait pas besoin d'��tre divis��; il prouva m��thodiquement tout ce qui ��tait clair; il enseigna tout ce qu'on savait. Il se passionna froidement, et sortit suant et hors d'haleine. Toute l'assembl��e alors se r��veilla, et crut avoir assist�� �� une instruction. Babouc dit: Voil�� un homme qui a fait de son mieux pour ennuyer deux ou trois cents de ses concitoyens; mais son intention ��tait bonne: il n'y a pas l�� de quoi d��truire Pers��polis.
Au sortir de cette assembl��e, on le mena voir une f��te publique qu'on donnait tous les jours de l'ann��e; c'��tait dans une esp��ce de basilique, au fond de laquelle on voyait un palais. Les plus belles citoyennes de Pers��polis, les plus consid��rables satrapes rang��s avec ordre formaient un spectacle si beau, que Babouc crut d'abord que c'��tait l�� toute la f��te. Deux ou trois personnes, qui paraissaient des rois et des reines, parurent bient?t dans le vestibule de ce palais; leur langage ��tait tr��s diff��rent de celui du peuple; il ��tait mesur��, harmonieux, et sublime. Personne ne dormait, on ��coutait dans un profond silence, qui n'��tait interrompu que par les t��moignages de la sensibilit�� et de l'admiration publique. Le devoir des rois, l'amour de la vertu, les dangers des passions ��taient exprim��s par des traits si vifs et si touchants, que Babouc versa des larmes. Il ne douta pas que ces h��ros et ces h��ro?nes, ces rois et ces reines qu'il venait d'entendre, ne fussent les pr��dicateurs de l'empire. Il se proposa m��me d'engager Ituriel �� les venir entendre; bien s?r qu'un tel spectacle le r��concilierait pour jamais avec la ville.
D��s que cette f��te fut finie, il voulut voir la principale reine qui avait d��bit�� dans ce beau palais une morale si noble et si pure; il se fit introduire chez sa majest��; on le mena par un petit escalier, au second ��tage, dans un appartement mal meubl��, o�� il trouva une femme mal v��tue, qui lui dit d'un air noble et path��tique: Ce m��tier-ci ne me donne pas de quoi vivre; un des princes que vous avez vus m'a fait un enfant; j'accoucherai bient?t; je manque d'argent, et sans argent on n'accouche point. Babouc lui donna cent dariques d'or, en disant: S'il n'y avait que ce mal-l�� dans la ville, Ituriel aurait tort de se tant facher.
De l�� il alla passer sa soir��e chez des marchands de magnificences inutiles. Un homme intelligent, avec lequel il avait fait connaissance, l'y mena; il acheta ce qui lui plut, et on le lui vendit avec politesse beaucoup plus qu'il ne valait. Son ami, de retour chez lui, lui fit voir combien on le trompait. Babouc mit sur ses tablettes le nom du marchand, pour le faire distinguer par Ituriel au jour de la punition de la ville. Comme il ��crivait, on frappa �� sa porte; c'��tait le marchand lui-m��me qui venait lui rapporter sa bourse, que Babouc avait laiss��e par m��garde sur son comptoir. Comment se peut-il, s'��cria Babouc, que vous soyez si fid��le et si g��n��reux, apr��s n'avoir pas eu honte[12] de me vendre des colifichets quatre fois au-dessus de leur valeur? Il n'y a aucun n��gociant un peu connu dans cette ville, lui r��pondit le marchand, qui ne f?t venu vous rapporter votre bourse; mais on vous a tromp�� quand on vous a dit que je vous avais vendu ce que vous avez pris chez moi quatre fois plus qu'il ne vaut, je vous l'ai vendu dix fois davantage: et cela est si vrai, que si dans un mois vous voulez le revendre, vous n'en aurez pas m��me ce dixi��me. Mais rien n'est plus juste; c'est la fantaisie passag��re[13] des hommes qui met le prix �� ces choses frivoles; c'est cette fantaisie qui fait vivre cent ouvriers que j'emploie; c'est elle qui me donne une belle maison, un char commode, des chevaux; c'est elle qui excite l'industrie, qui entretient le go?t, la circulation, et l'abondance.
[12] On lit de honte dans l'��dition de 1748, faite �� Dresde; mais l'��dition de 1750, faite probablement sous les yeux de l'auteur, quoique portant l'adresse d'Amslerdam, porte seulement: eu honte. B.
[13] C'est d'apr��s l'��dition de 1750 que j'ai ajout�� le mot passag��re. B.
Je vends aux nations voisines les m��mes bagatelles plus ch��rement qu'�� vous, et par l�� je suis utile �� l'empire. Babouc, apr��s avoir un peu r��v��, le raya de ses tablettes[14]; car enfin, disait-il, les arts du luxe ne sont en grand nombre dans un empire que quand tous les arts n��cessaires sont exerc��s, et que la nation est
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