les yeux en feu: «Voilà dix mois que je rêvais ce
tête-à-tête!»
Il l'aime depuis dix mois! Et les journalistes bien informés qui
colportent la fable de l'actrice blonde!
En se levant de table, il m'a avertie que si je voyais arriver l'un des deux
amis qui avaient retenu l'appartement, je le fasse attendre en bas et je
prévienne.
Ils n'ont pas eu besoin de moi l'après-midi. À huit heures du soir,
l'officier de ce matin est revenu, à pied, cette fois, et en civil. Sans un
mot, je l'ai fait entrer dans une petite pièce du rez-de-chaussée et je suis
montée prévenir. Je les ai trouvés près de la cheminée, causant à voix
basse, Lui, assis dans un grand fauteuil, près de la lampe, et Elle, assise
sur ses genoux, toute pelotonnée contre Lui. Il m'a tendu deux lettres.
Je les ai portées à l'officier, qui est reparti aussitôt.
Une heure après, ils m'ont appelée pour le dîner. Elle avait
l'éblouissante toilette d'hier.
À peine à table, comme s'ils s'étaient donné un mot d'ordre, ils ont
commencé à me parler, alors que, jusque-là, ils ne s'étaient pas du tout
occupés de moi. J'étais sur mes gardes. Il s'est mis à causer politique. Je
le voyais venir... Et, de fil en aiguille, le voilà qui me questionne sur le
général Boulanger.
Je lui réponds comme une humble femme qui n'a jamais vu le général,
mais qui est tout acquise à la cause patriotique qu'il incarne.
«Mais enfin, a-t-il répondu, en me fixant de ses yeux d'acier, comme
s'il voulait me percer à jour, comment se fait-il que vous n'ayez pas eu
la curiosité d'aller voir le général Boulanger de vos propres yeux?»
«Monsieur, lui ai-je dit très tranquillement, j'ai tant à faire à la maison
que je ne puis jamais sortir. Pour voir le général Boulanger, il aurait
fallu qu'il lui prenne fantaisie de venir jusqu'ici déjeuner ou dîner...»
Ma réponse a paru l'enchanter, ainsi qu'elle. Alors, il m'a demandé:
«Croyez-vous que le général réussira dans le but qu'il poursuit?»
«Monsieur, j'en suis sûre, et je ne suis pas seule de cet avis!»
«Vous en êtes sûre? Et pourquoi?»
«Parce que je suis sûre qu'il aime et qu'il aimera toujours son but
par-dessus tout!»
À ces mots, elle s'est mise à lui sourire singulièrement. Il a tourné les
yeux vers elle, et ces yeux jetaient des éclairs. J'ai senti que je devais
m'effacer un instant. À peine avais-je refermé la porte, que je l'ai
entendu se jeter violemment à ses pieds, et s'écrier avec un accent
éperdu: «C'est toi, Marguerite, c'est toi que j'aime par-dessus tout!»
Au bout d'un instant, je suis rentrée. Il avait repris sa place. Ils se
tenaient les deux mains par-dessus la table, ils se regardaient les yeux
dans les yeux et ils se souriaient.
Après dîner, je suis entrée dans leur chambre pour arranger le feu, puis
je leur ai fait ma révérence: «Bonsoir, monsieur et dame!»
Tous deux se sont avancés vers moi, m'ont tendu leurs mains, et m'ont
dit, avec le plus affectueux sourire: «Merci, nous nous trouvons très
heureux chez vous.»
Maintenant, mon opinion est faite. Cet homme aime cette femme autant
qu'il est possible d'aimer. Il est tout à elle, il ne vit plus que par elle.
Elle fera de lui ce qu'elle voudra.
Puisse-t-elle être bonne autant qu'elle est belle! Puisse-t-elle avoir le
coeur assez grand pour se sacrifier, s'il le faut, un jour, afin qu'il
remplisse sa destinée pour le bonheur de mon pays!
* * *
20.--Mercredi 26 octobre.
Ce matin, le capitaine est revenu à cheval et m'a glissé une lettre par le
même procédé.
Ils se sont levés à midi. Ils étaient, à déjeuner, habillés de même qu'hier.
Elle était vraiment divine dans cette robe blanche, avec ses cheveux
d'or coiffés à la vierge, son visage un peu pâle, ses yeux un peu cerclés
de bleu. Il était plus amoureux, plus caressant encore si possible. Il ne
pouvait se tenir en place, se précipitait à tout moment vers elle, la
renversait sous ses baisers, lui murmurait à l'oreille des choses qui
devaient être délicieuses, car elle défaillait de joie...
Le soir, l'officier est venu, en civil, prendre des lettres que je lui ai
remises. Au dîner, elle avait la même robe de soirée que la veille et
l'avant-veille, mais modifiée du tout au tout par quelques-uns de ces
détails dont les femmes de goût ont seules le secret: une guirlande de
roses et d'oeillets retenue au corsage par des agrafes de diamants, une
libellule en brillants dans les cheveux. Une reine sur son trône n'est pas
plus majestueusement belle. Une reine?... Qui sait ce qu'elle sera?...
Ils m'ont dit bonsoir de la même manière affectueuse, et ils ont répété
qu'ils se sentaient extrêmement bien chez moi.
Je n'avais plus
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