à redouter.
MARIE.--Compte là-dessus.
LE BOUFFON.--Il ne voit plus personne à craindre.
MARIE.--Bonne réponse de carême[19]! Je puis t'apprendre l'origine de ces mots.
[Note 19: A lenten answer, réponse brève et misérable.]
LE BOUFFON.--D'où vient-il, bonne dame Marie?
MARIE.--De la guerre; et tu peux le dire hardiment dans tes folies.
LE BOUFFON.--Eh bien! que Dieu donne la sagesse à ceux qui l'ont, et que ceux qui sont fous fassent usage de leurs talents.
MARIE.--Mais tu seras pendu pour être resté si longtemps absent, ou tout au moins renvoyé; n'est-ce pas la même chose pour toi que d'être pendu?
LE BOUFFON.--Vraiment, une bonne pendaison prévient un mauvais mariage[20]. Et quant au malheur d'être renvoyé, l'été y pourvoira[21].
[Note 20: Gray dit qu'une coutume espagnole autorisait toute femme veuve à sauver, en l'épousant, un malfaiteur condamné à être pendu. Un voleur, qui marchait au supplice, plut à une femme, qui s'écria qu'elle demandait sa grace avec la condition d'usage. Le condamné se retourne, et à peine l'a-t-il aper?ue du haut de la charrette, qu'il dit: Allons, fouette, cocher!]
[Note 21: Les fainéants le deviennent encore davantage vers la saison de l'été, plus s?rs de trouver leur subsistance et de pouvoir coucher à la belle étoile.]
MARIE.--Tu es donc bien résolu?
LE BOUFFON.--Non pas; mais je suis résolu sur deux points.
MARIE.--En sorte que si l'un manque, l'autre tiendra; ou si tous les deux viennent à manquer, ton haut-de-chausses tombe par terre.
LE BOUFFON.--Juste; en bonne foi, tout juste! Allons, va ton chemin. Si sir Tobie voulait quitter la boisson, tu serais une aussi spirituelle pièce de la chair d'ève qu'aucune en Illyrie.
MARIE.--Tais-toi, faquin; plus de cela: voici ma ma?tresse; fais tes excuses sagement, cela vaudra mieux.
(Marie sort.)
(Entrent Olivia, Malvolio et suite.)
LE BOUFFON.--Esprit, si c'est ton bon plaisir, mets-moi en bonne veine de folies. Les gens d'esprit qui s'imaginent te posséder ne sont souvent que des fous; et moi, qui suis bien s?r de ne pas t'avoir, je pourrais passer pour un homme sensé; car que dit Quinapalus? Un fou spirituel vaut mieux qu'un esprit fou.--Dieu vous bénisse, ma?tresse!
OLIVIA.--Faites sortir cet imbécile.
LE BOUFFON.--Est-ce que vous n'entendez pas, camarades? Emmenez madame.
OLIVIA.--Va-t'en; tu es un fou à sec: je ne veux plus de toi; d'ailleurs tu deviens malhonnête.
LE BOUFFON.--Deux défauts, madonna, que la boisson et les bons conseils corrigeront; car donnez à boire à un fou à sec, et le fou cessera d'être à sec; recommandez à un homme malhonnête de se corriger, s'il se corrige, il ne sera plus malhonnête, et s'il ne peut se corriger, que le ravaudeur le corrige; tout ce qui dans le monde est corrigé n'est que rapetassé: la vertu qui s'égare n'est que rapetassée de vice, et le vice qui s'amende n'est que rapetassé de vertu. Si ce syllogisme tout simple peut me servir, à la bonne heure; sinon, quel remède? Comme il n'y a point d'homme vraiment déshonoré autre que le misérable, de même la beauté n'est qu'une fleur.--La dame a commandé de faire sortir l'imbécile; en conséquence, je le répète, faites-la sortir.
OLIVIA.--Monsieur, je leur ai commandé de vous faire sortir.
LE BOUFFON.--Une méprise du plus haut degré! Madame, _cuclus non facit monachum_[22]; c'est comme qui dirait, je ne porte pas d'habit de fou dans le cerveau. Bonne madonna, donnez-moi la permission de prouver que vous êtes une folle.
[Note 22: Le capuchon ne fait pas le moine.]
OLIVIA.--Peux-tu le prouver?
LE BOUFFON.--Très-adroitement, bonne madonna.
OLIVIA.--Voyons ta preuve.
LE BOUFFON.--Il faut que je vous catéchise pour cela, madame.--Ma bonne petite souris de vertu, répondez-moi.
OLIVIA.--Allons, monsieur, à défaut d'autre passe-temps, je vous demanderai votre preuve.
LE BOUFFON.--Bonne madame, pourquoi êtes-vous en deuil?
OLIVIA.--Mon cher fou, pour la mort de mon frère.
LE BOUFFON.--Je crois, madame, que son ame est en enfer.
OLIVIA.--Moi, je sais, fou, que son ame est dans le ciel.
LE BOUFFON.--Vous n'en êtes que d'autant plus folle, madame, d'être en deuil, de ce que l'ame de votre frère est dans le ciel.--Emmenez la folle, messieurs.
OLIVIA.--Que pensez-vous de ce fou, Malvolio? Ne s'amende-t-il pas?
MALVOLIO.--Oui, et il continuera ainsi jusqu'à ce que les angoisses de la mort l'ébranlent. L'infirmité qui fait déchoir le sage amende toujours le fou.
LE BOUFFON.--Dieu veuille vous envoyer, monsieur, une prompte infirmité, afin d'augmenter votre folie! Sir Tobie jurera que je ne suis pas un renard; mais il ne risquerait pas sa parole sur deux sous, pour gager que vous n'êtes pas fou.
OLIVIA.--Que répondez-vous à cela, Malvolio?
MALVOLIO.--Je m'étonne que vous, madame, vous puissiez vous amuser des stériles propos d'un pareil coquin; je l'ai vu terrassé l'autre jour par un fou ordinaire qui n'a pas plus de cervelle qu'une pierre. Voyez, il est déjà hors de parade; si vous ne riez pas, et que vous ne lui fournissiez pas matière, le voilà baillonné. Je proteste que je tiens tous ces hommes sensés, qui rient ainsi de ces sortes de fous, pour n'être eux-mêmes rien de mieux que les bouffons de fous.
OLIVIA.--Oh! vous êtes malade à force d'amour-propre, Malvolio, et votre go?t
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