Le Jour des Rois | Page 4

William Shakespeare
limites de l'ordre.
SIR TOBIE.--_Confiner_[7]! je ne me tiendrai pas plus finement que je ne fais; ces habits sont assez bons pour boire et ces bottes aussi, ou sinon qu'elles se pendent à leurs propres tirants.
[Note 7: To confine, jeu de mots sur confine et fine.]
MARIE.--Ces grandes rasades vous tueront: j'entendais madame en parler encore hier, ainsi que de cet imbécile chevalier que vous avez amené un soir ici pour lui faire la cour.
SIR TOBIE.--Quoi? sir André Ague-cheek?
MARIE.--Oui, lui-même.
SIR TOBIE.--C'est un homme des plus braves qu'il y ait en Illyrie.
MARIE.--Et qu'importe à la chose?
SIR TOBIE.--Comment! il a trois mille ducats de rente.
MARIE.--Oui! mais il ne fera qu'une année de tous ses ducats: c'est un vrai fou, un prodigue.
SIR TOBIE.--Fi! n'avez-vous pas honte de dire cela? Il joue de la viole de Gambo[8], il parle trois ou quatre langues, mot à mot, sans livre, et il possède les meilleurs dons de nature.
[Note 8: Instrument qu'on tenait entre les jambes.]
MARIE.--Oh! oui, certes, il les possède au naturel; car, outre que c'est un sot, c'est un grand querelleur; et si ce n'est qu'il a le don d'un lache pour apaiser la fougue qui l'emporte dans une querelle, c'est l'opinion des gens sensés qu'on lui ferait bient?t le don d'un tombeau.
SIR TOBIE.--Par cette main, ce sont des bél?tres, des détracteurs, que ceux qui tiennent de lui ces propos.--Qui sont-ils?
MARIE.--Ce sont des gens qui ajoutent encore qu'il est ivre toutes les nuits en votre compagnie.
SIR TOBIE.--A force de porter des santés à ma nièce: je boirai à sa santé aussi longtemps qu'il y aura un passage dans mon gosier, et du vin en Illyrie. C'est un lache et un poltron[9] que celui qui ne veut pas boire à ma nièce, jusqu'à ce que la cervelle lui tourne comme un sabot de village. Allons, fille, _castiliano vulgo_[10]: voici sir André Ague-face.
[Note 9: Coystril, un coq peureux.]
[Note 10: Castiliano vulgo, à l'espagnole.]
(Entre sir André Ague-cheek.)
SIR ANDRé.--Ah! sir Tobie Belch! Comment vous va, sir Tobie Belch?
SIR TOBIE.--Ah! mon cher sir André!
SIR ANDRé, _à Marie_.--Salut, jolie grondeuse.
MARIE.--Salut, monsieur.
SIR TOBIE.--Accoste, sir André, accoste.
SIR ANDRé.--Qu'est-ce que c'est?
SIR TOBIE.--La femme de chambre de ma nièce.
SIR ANDRé.--Belle madame Accoste, je désire faire connaissance avec vous.
MARIE.--Mon nom est Marie, monsieur.
SIR ANDRé.--Belle madame Marie Accoste....
SIR TOBIE.--Vous vous méprenez, chevalier. Quand je dis accoste, je veux dire envisagez-la, abordez-la, faites-lui votre cour, attaquez-la.
SIR ANDRé.--Sur ma foi, je ne voudrais pas l'attaquer ainsi en compagnie. Est-ce là le sens du mot _accoste_?
MARIE.--Portez-vous bien, messieurs.
SIR TOBIE.--Si tu la laisses partir ainsi, sir André, puisses-tu ne jamais tirer l'épée!
SIR ANDRé.--Si vous partez ainsi, mademoiselle, je ne veux jamais tirer l'épée. Belle dame, croyez-vous avoir des sots sous la main?
MARIE.--Monsieur, je ne vous ai pas sous la main.
SIR ANDRé.--Par ma foi, vous allez l'avoir tout à l'heure, car voici ma main.
MARIE.--Maintenant, monsieur, la pensée est libre. Je vous prie de porter votre main à la baratte au beurre, et laissez-la boire.
SIR ANDRé.--Pourquoi, mon cher coeur? quelle est votre métaphore?
MARIE.--Elle est sèche, monsieur[11].
[Note 11: Peut-être pour dire: elle est vide; ou bien, d'après la chiromancie, une main sèche signifie ici une constitution froide.]
SIR ANDRé.--Comment donc! je le crois bien; je ne suis pas assez ane pour ne pas tenir ma main sèche. Mais que signifie votre plaisanterie?
MARIE.--C'est une plaisanterie toute sèche, monsieur.
SIR ANDRé.--En avez-vous beaucoup de semblables?
MARIE.--Oui, monsieur, je les ai au bout de mes doigts: allons, je laisse aller votre main, je suis desséchée[12].
(Marie sort.)
[Note 12: _I am barren._]
SIR TOBIE.--Chevalier, tu as besoin d'une coupe de vin des Canaries; je ne t'ai jamais vu si bien terrassé.
SIR ANDRé.--Jamais de votre vie, je pense, à moins que vous ne me voyez terrassé par le canarie. Il me semble qu'il y a des jours où je n'ai pas plus d'esprit qu'un chrétien ou qu'un homme ordinaire. Mais je suis un grand mangeur de boeuf, et je crois que cela fait tort à mon esprit.
SIR TOBIE.--Il n'y a pas de doute.
SIR ANDRé.--Si je le croyais, je m'en abstiendrais.--Je retourne chez moi à cheval demain, sir Tobie.
SIR TOBIE.--Pourquoi, mon cher chevalier?
SIR ANDRé.--Que signifie pourquoi[13]? Le faire ou ne le pas faire? Je voudrais avoir employé à apprendre les langues le temps que j'ai mis à l'escrime, à la danse, à la chasse à l'ours.--Oh! si j'avais suivi les beaux-arts!
[Note 13: Pourquoi, en fran?ais dans le texte.]
SIR TOBIE.--Oh! vous auriez eu une superbe chevelure.
SIR ANDRé.--Quoi, cela aurait-il amendé mes cheveux?
SIR TOBIE.--Sans contredit, car vous voyez qu'ils ne frisent pas naturellement.
SIR ANDRé.--Mais cela me sied assez bien, n'est-il pas vrai?
SIR TOBIE.--A merveille. Ils pendent droit comme le lin sur une quenouille, et j'espère un jour voir une ménagère vous prendre entre ses jambes et vous filer.
SIR ANDRé.--Ma foi, je retourne chez moi demain, sir Tobie. Votre nièce ne veut pas se laisser voir, ou, si elle voit quelqu'un, il y a quatre à parier contre un qu'elle
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