Le IIe livre des masques | Page 9

Remy de Gourmont
leurs chaises; d'aucunes, tout �� coup, tombent �� genoux; d'autres se renversent, comme de grandes fleurs pleines de larmes; et les doigts se crispent et cherchent on ne sait quoi parmi le froissis des soies et le cliquetis des bracelets. L'abb�� de Joie monte en chaire: on ��coute, la paume appuy��e sur les seins, avec ��moi, avec d��lices, car l'abb�� pr��che Adonis sous le nom de J��sus et son discours ��quivoque va changer en amoureuses les fid��les du Christ....
M. Lorrain a, lui aussi, beaucoup pr��ch�� Adonis, car comment retenir les femmes si on ne pr��che Adonis? Et, comment les observer, si on les laisse fuir? Sous ce titre insolent, Une Femme par jour, et sous ce titre doux, Ames d'Automne, il a not�� la complexit�� de la physionomie f��minine, la na?vet�� ou l'inconscience de ces petites ames, leurs d��tresses, leurs f��rocit��s, leur folie ou leur grace. Toutes les p��nitentes de l'Oratoire et quelques autres se sont confess��es avec une rare sinc��rit��.
Il y a bien de la m��chancet�� en tel ou tel chapitre de ce dernier livre, auquel je reviens toujours avec amour, bien de la cruaut��, certaines gaucheries, mais quel charme aussi en cette premi��re fleur, m��me empoisonn��e, de l'esprit de serre chaude, de la plante rare qu'est M. Jean Lorrain!
Depuis ces temps, il y a dix ans, l'auteur de tant de chroniques a ��t�� tr��s prodigue de son parfum originel, mais il n'a pu l'��puiser, et l'arbuste a garde assez de s��ve pour fleurir avec pers��v��rance: ce sont alors des po��mes, des contes, de petites pages o�� l'on retrouve, avec plus ou moins de miel, tout le poivre sensuel, toute l'audace parfois un peu sadique du disciple,--du seul disciple de Barbey d'Aurevilly. N�� dans l'art, M. Lorrain n'a jamais cess�� d'aimer son pays natal et d'y faire de fr��quents voyages. S'il est enclin �� la maraude, aux excursions vers les mondes du parisianisme louche, de la putr��faction galante, le monde ?de l'obole, de la natte et de la cuvette?, dont un rh��teur grec (D��m��trius de Phal��re) signalait d��j�� les ravages dans la litt��rature, s'il a, plus que nul autre et avec plus de talent que Dom Reneus, propag�� le culte de sainte Muqueuse, s'il a chant�� (�� mi-voix) ce qu'il appelle modestement ?des amours bizarres?, ce fut, au moins en un langage qui, ��tant de bonne race, a souffert en souriant ses familiarit��s d'oratorien secret; et si tels de ses livres sont comparables �� ces femmes d'un blond vif qui ne peuvent lever les bras sans r��pandre une odeur malsaine �� la vertu, il en est d'autres dont les parfums ne sont que ceux de la belle litt��rature et de l'art pur; son go?t de la beaut�� a triomph�� de son go?t de la d��pravation.
Il ne faudrait pas, en effet, le prendre pour un ��crivain purement sensuel et qui ne s'int��resserait qu'�� des cas de psychologie sp��ciale. C'est un esprit tr��s vari��, curieux de tout et capable aussi bien d'un conte pittoresque et de tragiques histoires. Il aime le fantastique, le myst��rieux, l'occulte et aussi le terrible. Qu'il ��voque le pass�� ou le Paris d'aujourd'hui, jamais la vision n'est banale; elle est m��me si singuli��re qu'on est surpris jusqu'�� l'irritation par l'impr��vu, quelquefois un peu brusque, qui nous est impos��. Il est, m��me quand il n'est que cela, le rare chroniqueur dont on peut toujours lire la prose, m��me trop rapide, avec la certitude d'y trouver du nouveau. Il aime le nouveau, en art, comme dans la vie, et jamais il ne recula devant l'aveu de ses go?ts litt��raires, les plus hardis, les plus scandaleux pour l'ignorance ou pour la jalousie.
A tous ces m��rites qui font de M. Lorrain un des ��crivains les plus particuliers d'aujourd'hui, il faut joindre celui de po��te. En vers, il excelle encore �� ��voquer des paysages, des figures,--ou des figurines; voici, par exemple, une image inoubliable du danseur Bathyle:
Bathyle alors s'arr��te et, d'un oeil inhumain?Fixant les matelots rouges de convoitise,?Il partage �� chacun son bouquet de cytise?Et tend �� leurs baisers la paume de sa main.
C'est avec une sensualit�� discr��te et r��veuse qu'il peint les _H��ro?nes_; chacune est symbolis��e par une fleur qui se dresse d'entre ses pieds; cela est fort joli.
Enilde, �� ses pieds,
Blanche ��toile au coeur d'or s'ouvre une marguerite.
Elaine,
Pile et froide �� ses pieds fleurit une an��mone.
Viviane,
Et sous son rouge orteil jaillit un lys fantasque.
M��lusine,
Et pr��s d'elle, ��rigeant ses fleurs en clairs troph��es, Jaillit un gla?eul rose �� feuillage de houx.
Yseulte,
Et, fleur de feu comme elle, aupr��s de son orteil,?Flambe et s'��panouit un jaune et clair soleil.
Que d'images de grace ou de volupt��, en ces verri��res bleues ou glauques, aviv��es ?�� et l�� de l'or d'une renoncule ou du pourpre d'un pavot! Que de femmes de r��ve ou d'effroi, que de mortes!
Pauvres petites Oph��lies?Qui sans batelier ni bateau?Vous en allez au
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