Le IIe livre des masques | Page 7

Remy de Gourmont
d'art, Aurier et F��n��on: l'un est mort, l'autre se tait. Quel dommage! car l'un ou l'autre aurait suffi �� mettre au pas une ��cole (la pseudo-symboliste) qui, pour un Maurice Denis et un Filiger, nous donna toute une bande de copistes infid��les ou maladroits!
En cherchant bien, on grossirait la valise litt��raire de M. F��n��on. Outre qu'apr��s la disparition de la Vogue_ il continua dans la Revue Ind��pendante_ ses notes sur les peintres, il signa aussi dans cette revue m��morable des pages amusantes de petite critique litt��raire. On peut les relire; cela mord �� froid, comme l'eau seconde, et cela laisse parfois dans la blessure le sous-entendu d'un venin tr��s spirituel. D'un mot il d��finit tel g��nie: ?Les contes que l'on conna?t, petits travaux de fleurs et plumes.?--En somme, juste assez d'��critures pour qu'on regrette ce qui est rest�� dans les limbes du possible; mais si M. F��n��on s'imagine qu'il y a, en ce moment, trop d'��crivains, quelle erreur! Il y en a si peu, qu'un seul de plus serait un renfort tr��s appr��ciable. Surtout, il pourrait nous donner l'aide d'une critique s?re et semer, avec ironie, quelques v��rit��s souriantes.
M. F��n��on a pris trop �� coeur son ��tat de fid��le de ?l'��glise silencieuse? dont parle Goethe, et que, nous autres, nous fr��quentons trop peu.

L��ON BLOY
M. Bloy est un proph��te. Il eut soin, parmi ses ��crits, de nous le certifier lui-m��me: ?Je suis un proph��te.? Il pouvait ajouter, il n'y a pas manqu��:--et aussi un pamphl��taire: ?Je suis incapable de concevoir le journalisme autrement que sous la forme du pamphlet.? Les deux mots sont des ��quivalents historiques: le pamphl��taire a remplac�� le proph��te, le jour o�� les hommes ont perdu la puissance de croire pour acqu��rir la puissance de jouir. Le proph��te fait saigner les coeurs; le pamphl��taire ��corche les peaux; M. Bloy est un ��corcheur.
Non pas le tortionnaire ��l��gant qui, romain ou chinois, d��cortique un sein, une joue, un h��micrane, selon la science parfaite de la douleur animale; mais le boucher qui, apr��s une entaille circulaire, arrache toute la d��pouille, comme un fourreau. Tel de ses patients, toujours au vif, crie encore aussi haut qu'�� l'heure o�� on lui enlevait sa tendre robe de chair; l'homme est tout nu et �� travers la transparence de sa seconde peau on voit le double cloaque d'un coeur putr��fi��: priv��s de leur hypocrisie, les hommes ainsi pel��s apparaissent vraiment comme des fruits trop m?rs; l'heure est pass��e des vendanges, on ne peut plus en faire que du fumier.
Le spectacle (m��me celui du fumier) n'est pas d��sagr��able. Il y a des besognes auxquelles on ne voudrait pas mettre le doigt (peut-��tre par lachet�� ou par orgueil), mais que l'on aime �� voir brass��es par des mains sans d��go?t, et quand la place est propre, on est content; on se r��jouit, dans la simplicit�� de son ame, d'une atmosph��re meilleure; les parfums retrouv��s passent sans se corrompre d'une rive �� l'autre par-dessus le ruisseau purifi��, et la vie des fleurs sourit encore une fois au-dessus des herbes reverdies.
H��las! qu'elle est fugitive, la purification des cloaques! A quoi bon ��craser un Albert Wolff si la racine du champignon, rest��e sous la terre gluante, doit repousser le lendemain un nouveau noeud v��n��neux? ?J'ai m��pris et d��dain?, disait Victor Hugo. M. Bloy n'a qu'une arme, le balai: on ne peut lui demander de la porter comme une ��p��e; il la porte comme un balai, et il racle les ruisseaux infatigablement.
Le pamphl��taire a besoin d'un style. M. Bloy a un style. Il en a recueilli les premi��res graines dans le jardin de Barbey d'Aurevilly et dans le jardinet de M. Huysmans, mais la sapinette est devenue, sem��e dans cette terre �� m��taphores, une puissante for��t qui escalada des sommets, et l'oeillet poivr��, un champ resplendissant de pavots magnifiques M. Bloy est un des plus grands cr��ateurs d'images que la terre ait port��s; cela soutient son oeuvre, comme un rocher soutient de fuyantes terr��s; cela donne �� sa pens��e le relief d'une cha?ne de montagne. Il ne lui manque rien pour ��tre un tr��s grand ��crivain que deux id��es, car il en a une: l'id��e th��ologique.
Le g��nie de M. Bloy n'est ni religieux, ni philosophique, ni humain, ni mystique; le g��nie de M. Bloy est th��ologique et rabelaisien. Ses livres semblent r��dig��s par saint Thomas d'Aquin en collaboration avec Gargantua. Ils sont scolastiques et gigantesques, eucharistiques et scatalogiques, idylliques et blasph��matoires. Aucun chr��tien ne peut les accepter, mais aucun ath��e ne peut s'en r��jouir. Quand il insulte un saint, c'est pour sa douceur, ou pour l'innocence de sa charit��, ou la pauvret�� de sa litt��rature; ce qu'il appelle, on ne sait pourquoi, ?le catinisme de la pi��t��?, ce sont les graces d��vou��es et souriantes de Fran?ois de Sales; les pr��tres simples, braves gens malfa?onn��s par la triste ��ducation sulpicienne, ce sont
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