Le IIe livre des masques | Page 3

Remy de Gourmont
ceux qui y sont all��s.
Ne semble-t-il pas que la gaucherie ou le d��daigneux laisser-aller de ce dernier vers ajoute �� la pens��e s��rieuse comme un sourire? Il y a beaucoup de ces sourires dans la po��sie de M. Francis Jammes. Je ne trouve pas qu'il y en ait trop; j'aime le sourire.
Voil�� donc un po��te. Il est d'une sinc��rit�� presque d��concertante; mais non par na?vet��, plut?t par orgueil. Il sait que vus par lui les paysages o�� il a v��cu tressaillent sous son regard et que les ch��nes tout secou��s parlent et que les rochers resplendissent comme des topazes. Alors il dit toute cette vie surnaturelle et toute l'autre, celle des heures o�� il ferme les yeux: et la nature et le r��ve s'enlacent si discr��tement, dans une ombre si bleue et avec des gestes si harmoniques, que les deux natures ne font qu'une seule ligne, une seule grace:
Ils ont une ligne douce comme une ligne.
Il est grand temps, pour notre bon renom, de donner de la gloire �� ce po��te et, pour notre plaisir, de respirer souvent cette po��sie, qu'il a appel��e lui-m��me une po��sie de roses blanches.

PAUL FORT
Celui-ci fait des ballades. Il ne faut rien lui demander de plus, ou de moins, pr��sentement. Il fait des ballades et veut en faire encore, en faire toujours. Ces ballades ne ressemblent gu��re �� celles de Fran?ois Villon ou de M. Laurent Tailhade; elles ne ressemblent �� rien.
Typographi��es comme de la prose, elles sont ��crites en vers, et sup��rieurement mouvement��s. Cette typographie a donn�� l'illusion �� d'aimables critiques que M. Paul Fort avait d��couvert la quadrature du cercle rythmique et r��solu le probl��me qui tourmentait M. Jourdain de r��diger des litt��ratures qui ne seraient ni de la prose ni des vers; il y a bien de la d��sinvolture dans ce compliment, mais ce n'est qu'un compliment. Si la ligne qui s��pare le vers de la prose est souvent devenue, en ces derni��res ann��es litt��raires, d'une ��troitesse presque invisible, elle persiste n��anmoins; �� droite, c'est prose; �� gauche, c'est vers; inexistante pour celui qui passe, les yeux vagues, elle est l��, ind��l��bile, pour celui qui regarde. Le rythme du vers est ind��pendant de la phrase grammaticale; il place ses temps forts sur des sons et non sur des sens. Le rythme de la prose est d��pendant de la phrase grammaticale; il place ses temps forts sur des sens et non sur des sons. Et comme le son et le sens ne peuvent que tr��s rarement co?ncider, la prose sacrifie le son et le vers sacrifie le sens. Voil�� une distinction sommaire qui peut suffire, provisoirement.
La question ne se pose d'ailleurs pas �� propos des _Ballades Fran?aises_, lesquelles sont bien d'un bout �� l'autre en vers, ici tr��s pittoresques, tr��s vifs, l�� tr��s sobres, tr��s beaux; et non pas m��me en vers libres (sauf quelques pages); en ce vieux vers ?nombreux?, mais d��gag�� heureusement de la tyrannie des muettes, ces princesses qu'on ne sait comment saluer. Avec un instinct s?r d'homme de l'Isle-de-France, il les a remises �� leur vraie place, leur imposant quand il le faut le silence qui convient �� leur nom.
Un roi conquit la reine avec ses noirs vaisseaux.?La reine n'a plus de peine, est douce comme un agneau.
Et tout ce petit po��me, vraiment parfait:
Cette fille, elle est morte, est morte dans ses amours. Ils l'ont port��e en terre, en terre au point du jour.?Ils l'ont couch��e toute seule, toute seule en ses atours. Ils l'ont couch��e toute seule, toute seule en son cercueil. Ils sont revenus ga?ment, ga?ment avec le jour.?Ils ont chant�� ga?ment, ga?ment: ?Chacun son tour.??Cette fille, elle est morte, est morte dans ses amours.? Ils sont all��s aux champs, aux champs comme tous les jours....
J'aime beaucoup de tels vers; je n'aime gu��re que de tels vers, o�� le rythme par des gestes s?rs affirme sa pr��sence et pour une syllabe de plus, une de moins, ne s'��vanouit pas. Qui s'aper?oit que le troisi��me des vers que voici n'a que onze syllabes accentu��es?
Au premier son des cloches: ?C'est J��sus dans sa cr��che....? Les cloches ont redoubl��: ?O gu��, mon fianc��!??Et puis c'est tout de suite la cloche des tr��pass��s.
Mais assez de rythmique; il est temps que nous aimions la po��sie et non plus seulement les vers des _Ballades Fran?aises_. Elles chantent sur trois tons principaux; le pittoresque, l'��motion, l'ironie r��gissent successivement, et parfois en m��me temps, chacun de ces po��mes dont la diversit�� est vraiment merveilleuse; c'est le jardin des mille fleurs, des mille parfums et des mille couleurs. Le livre premier est le plus charmant: c'est celui des ballades qui empruntent �� la chanson populaire un refrain, le charme d'un mot qui revient comme un son de cloche, un rythme de ronde, une l��gende; on sent que le po��te a v��cu dans un milieu o�� cette
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