rosiers... dans l'allée des rosiers d'automne qui commencent à fleurir.
Comme je m'arrêtais à regarder un géant des batailles, qui portait trois
fleurs magnifiques, je vis, je vis distinctement, tout près de moi, la tige
d'une de ces roses se plier, comme si une main invisible l'eût tordue,
puis se casser comme si cette main l'eût cueillie! Puis la fleur s'éleva,
suivant la courbe qu'aurait décrite un bras en la portant vers une bouche,
et elle resta suspendue dans l'air transparent, toute seule, immobile,
effrayante tache rouge à trois pas de mes yeux.
Éperdu, je me jetai sur elle pour la saisir! Je ne trouvai rien; elle avait
disparu. Alors je fus pris d'une colère furieuse contre moi-même; car il
n'est pas permis à un homme raisonnable et sérieux d'avoir de pareilles
hallucinations.
Mais était-ce bien une hallucination? Je me retournai pour chercher la
tige, et je la retrouvai immédiatement sur l'arbuste, fraîchement brisée,
entre les deux autres roses demeurées à la branche.
Alors, je rentrai chez moi l'âme bouleversée; car je suis certain,
maintenant, certain comme de l'alternance des jours et des nuits, qu'il
existe près de moi un être invisible, qui se nourrit de lait et d'eau, qui
peut toucher aux choses, les prendre et les changer de place, doué par
conséquent d'une nature matérielle, bien qu'imperceptible pour nos sens,
et qui habite comme moi, sous mon toit...
7 août.--J'ai dormi tranquille. Il a bu l'eau de ma carafe, mais n'a point
troublé mon sommeil.
Je me demande si je suis fou. En me promenant, tantôt au grand soleil,
le long de la rivière, des doutes me sont venus sur ma raison, non point
des doutes vagues comme j'en avais jusqu'ici, mais des doutes précis,
absolus. J'ai vu des fous; j'en ai connu qui restaient intelligents, lucides,
clairvoyants même sur toutes les choses de la vie, sauf sur un point. Ils
parlaient de tout avec clarté, avec souplesse, avec profondeur, et
soudain leur pensée touchant l'écueil de leur folie, s'y déchirait en
pièces, s'éparpillait et sombrait dans cet océan effrayant et furieux,
plein de vagues bondissantes, de brouillards, de bourrasques, qu'on
nomme «la démence».
Certes, je me croirais fou, absolument fou, si je n'étais conscient, si je
ne connaissais parfaitement mon état, si je ne le sondais en l'analysant
avec une complète lucidité. Je ne serais donc, en somme, qu'un
halluciné raisonnant. Un trouble inconnu se serait produit dans mon
cerveau, un de ces troubles qu'essayent de noter et de préciser
aujourd'hui les physiologistes; et ce trouble aurait déterminé dans mon
esprit, dans l'ordre et la logique de mes idées, une crevasse profonde.
Des phénomènes semblables ont lieu dans le rêve qui nous promène à
travers les fantasmagories les plus invraisemblables, sans que nous en
soyions surpris, parce que l'appareil vérificateur, parce que le sens du
contrôle est endormi; tandis que la faculté imaginative veille et travaille.
Ne se peut-il pas qu'une des imperceptibles touches du clavier cérébral
se trouve paralysée chez moi? Des hommes, à la suite d'accidents,
perdent la mémoire des noms propres ou des verbes ou des chiffres, ou
seulement des dates. Les localisations de toutes les parcelles de la
pensée sont aujourd'hui prouvées. Or, quoi d'étonnant à ce que ma
faculté de contrôler l'irréalité de certaines hallucinations, se trouve
engourdie chez moi en moment!
Je songeais à tout cela en suivant le bord de l'eau. Le soleil couvrait de
clarté la rivière, faisait la terre délicieuse, emplissait mon regard
d'amour pour la vie, pour les hirondelles, dont l'agilité est une joie de
mes yeux, pour les herbes de la rive, dont le frémissement est un
bonheur de mes oreilles.
Peu à peu, cependant un malaise inexplicable me pénétrait. Une force,
me semblait-il, une force occulte m'engourdissait, m'arrêtait,
m'empêchait d'aller plus loin, me rappelait en arrière. J'éprouvais ce
besoin douloureux de rentrer qui vous oppresse, quand on a laissé au
logis un malade aimé, et que le pressentiment vous saisit d'une
aggravation de son mal.
Donc, je revins malgré moi, sûr que j'allais trouver, dans ma maison,
une mauvaise nouvelle, une lettre ou une dépêche. Il n'y avait rien; et je
demeurai plus surpris et plus inquiet que si j'avais eu de nouveau
quelque vision fantastique.
8 août.--J'ai passé hier une affreuse soirée. Il ne se manifeste plus, mais
je le sens près de moi, m'épiant, me regardant, me pénétrant, me
dominant et plus redoutable, en se cachant ainsi, que s'il signalait par
des phénomènes surnaturels sa présence invisible et constante.
J'ai dormi, pourtant.
9 août.--Rien, mais j'ai peur.
10 août.--Rien; qu'arrivera-t-il demain?
11 août.--Toujours rien; je ne puis plus rester chez moi avec cette
crainte et cette pensée entrées en mon âme; je vais partir.
12 août, 10 heures du soir.--Tout le jour j'ai voulu m'en aller; je n'ai pas
pu. J'ai voulu accomplir cet acte
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