voisin.» Il va se battre. On lui dit: «Vote pour
l'Empereur.» Il vote pour l'Empereur. Puis, on lui dit: «Vote pour la
République.» Et il vote pour la République.
Ceux qui le dirigent sont aussi sots; mais au lieu d'obéir à des hommes,
ils obéissent à des principes, lesquels ne peuvent être que niais, stériles
et faux, par cela même qu'ils sont des principes, c'est-à-dire des idées
réputées certaines et immuables, en ce monde où l'on n'est sûr de rien,
puisque la lumière est une illusion, puisque le bruit est une illusion.
16 juillet.--J'ai vu hier des choses qui m'ont beaucoup troublé.
Je dînais chez ma cousine, Mme Sablé, dont le mari commande le 76e
chasseurs à Limoges. Je me trouvais chez elle avec deux jeunes
femmes, dont l'une a épousé un médecin, le docteur Parent, qui
s'occupe beaucoup des maladies nerveuses et des manifestations
extraordinaires auxquelles donnent lieu en ce moment les expériences
sur l'hypnotisme et la suggestion.
Il nous raconta longuement les résultats prodigieux obtenus par des
savants anglais et par les médecins de l'école de Nancy.
Les faits qu'il avança me parurent tellement bizarres, que je me déclarai
tout à fait incrédule.
«Nous sommes, affirmait-il, sur le point de découvrir un des plus
importants secrets de la nature, je veux dire, un de ses plus importants
secrets sur cette terre; car elle en a certes d'autrement importants, là-bas,
dans les étoiles. Depuis que l'homme pense, depuis qu'il sait dire et
écrire sa pensée, il se sent frôlé par un mystère impénétrable pour ses
sens grossiers et imparfaits, et il tâche de suppléer, par l'effort de son
intelligence, à l'impuissance de ses organes. Quand cette intelligence
demeurait encore à l'état rudimentaire, cette hantise des phénomènes
invisibles a pris des formes banalement effrayantes. De là sont nées les
croyances populaires au surnaturel, les légendes des esprits rôdeurs, des
fées, des gnomes, des revenants, je dirai même la légende de Dieu, car
nos conceptions de l'ouvrier-créateur, de quelque religion qu'elles nous
viennent, sont bien les inventions les plus médiocres, les plus stupides,
les plus inacceptables sorties du cerveau apeuré des créatures. Rien de
plus vrai que cette parole de Voltaire. «Dieu a fait l'homme à son image,
mais l'homme le lui a bien rendu.»
«Mais, depuis un peu plus d'un siècle, on semble pressentir quelque
chose de nouveau. Mesmer et quelques autres nous ont mis sur une
voie inattendue, et nous sommes arrivés vraiment, depuis quatre ou
cinq ans surtout, à des résultats surprenants.»
Ma cousine, très incrédule aussi, souriait. Le docteur Parent lui
dit:--Voulez-vous que j'essaie de vous endormir, Madame?
--Oui, je veux bien.
Elle s'assit dans un fauteuil et il commença à la regarder fixement en la
fascinant. Moi, je me sentis soudain un peu troublé, le coeur battant, la
gorge serrée. Je voyais les yeux de Mme Sablé s'alourdir, sa bouche se
crisper, sa poitrine haleter.
Au bout de dix minutes, elle dormait.
--Mettez-vous derrière elle, dit le médecin.
Et je m'assis derrière elle. Il lui plaça entre les mains une carte de visite
en lui disant: «Ceci est un miroir; que voyez-vous dedans?»
Elle répondit:
--Je vois mon cousin.
--Que fait-il?
--Il se tord la moustache.
--Et maintenant?
--Il tire de sa poche une photographie.
--Quelle est cette photographie?
--La sienne.
C'était vrai! Et cette photographie venait de m'être livrée, le soir même,
à l'hôtel.
--Comment est-il sur ce portrait?
--Il se tient debout avec son chapeau à la main.
Donc elle voyait dans cette carte, dans ce carton blanc, comme elle eût
vu dans une glace.
Les jeunes femmes, épouvantées, disaient: «Assez! Assez! Assez!»
Mais le docteur ordonna: «Vous vous lèverez demain à huit heures;
puis vous irez trouver à son hôtel votre cousin, et vous le supplierez de
vous prêter cinq mille francs que votre mari vous demande et qu'il vous
réclamera à son prochain voyage.»
Puis il la réveilla.
En rentrant à l'hôtel, je songeais à cette curieuse séance et des doutes
m'assaillirent, non point sur l'absolue, sur l'insoupçonnable bonne foi de
ma cousine, que je connaissais comme une soeur, depuis l'enfance,
mais sur une supercherie possible du docteur. Ne dissimulait-il pas
dans sa main une glace qu'il montrait à la jeune femme endormie, en
même temps que sa carte de visite? Les prestidigitateurs de profession
font des choses autrement singulières.
Je rentrai donc et je me couchai.
Or, ce matin, vers huit heures et demie, je fus réveillé par mon valet de
chambre, qui me dit:
--C'est Mme Sablé qui demande à parler à Monsieur tout de suite.
Je m'habillai à la hâte et je la reçus.
Elle s'assit fort troublée, les yeux baissés, et, sans lever son voile, elle
me dit:
--Mon cher cousin, j'ai un gros service à vous demander.
--Lequel, ma cousine?
--Cela me gêne beaucoup de vous le dire, et pourtant,
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