Le Docteur Pascal | Page 8

Emile Zola
est très bien, ma fille, approuva Félicité. Vous aimez au moins votre ma?tre d'une fa?on intelligente.
Entre elles deux, Clotilde semblait encore irrésolue. Chez elle, la croyance ne se pliait pas à la règle stricte du dogme, le sentiment religieux ne se matérialisait pas dans l'espoir d'un paradis, d'un lieu de délices, où l'on devait retrouver les siens. C'était simplement, en elle, un besoin d'au delà, une certitude que le vaste monde ne s'arrête point à la sensation, qu'il y a tout un autre monde inconnu, dont il faut tenir compte. Mais sa grand'mère si vieille, cette servante si dévouée, l'ébranlaient, dans sa tendresse inquiète pour son oncle. Ne l'aimaient-elles pas davantage, d'une fa?on plus éclairée et plus droite, elles qui le voulaient sans tache, dégagé de ses manies de savant, assez pur pour être parmi les élus? Des phrases de livres dévots lui revenaient, la continuelle bataille livrée à l'esprit du mal, la gloire des conversions emportées de haute lutte. Si elle se mettait à cette besogne sainte, si pourtant, malgré lui, elle le sauvait! Et une exaltation, peu à peu, gagnait son esprit, tourné volontiers aux entreprises aventureuses.
--Certainement, finit-elle par dire, je serais très heureuse qu'il ne se cassat pas la tête, à entasser ces bouts de papier, et qu'il vint avec nous à l'église.
En la voyant près de céder, madame Rougon s'écria qu'il fallait agir, et Martine elle-même pesa de toute sa réelle autorité. Elles s'étaient rapprochées, elles endoctrinaient la jeune fille, baissant la voix, comme pour un complot, d'où sortirait un miraculeux bienfait, une joie divine dont la maison entière serait parfumée. Quel triomphe, si l'on réconciliait le docteur avec Dieu! et quelle douceur ensuite, à vivre ensemble, dans la communion céleste d'une même foi!
--Enfin, que dois-je faire? demanda Clotilde, vaincue, conquise.
Mais, à ce moment, dans le silence, le pilon du docteur reprit plus haut, de son rythme régulier. Et Félicité victorieuse, qui allait parler, tourna la tête avec inquiétude, regarda un instant la porte de la chambre voisine. Puis, à demi-voix:
--Tu sais où est la clef de l'armoire?
Clotilde ne répondit pas, eut un simple geste, pour dire toute sa répugnance à trahir ainsi son ma?tre.
--Que tu es enfant! Je te jure de ne rien prendre, je ne dérangerai même rien.... Seulement, n'est-ce pas? puisque nous sommes seules, et que jamais Pascal ne repara?t avant le d?ner, nous pourrions nous assurer de ce qu'il y a là dedans.... Oh! rien qu'un coup d'oeil, ma parole d'honneur!
La jeune fille, immobile, ne consentait toujours pas.
--Et puis, peut-être que je me trompe, il n'y a sans doute là aucune des mauvaises choses que je t'ai dites.
Ce fut décisif, elle courut prendre dans le tiroir la clef, elle ouvrit elle-même l'armoire toute grande.
--Tiens! grand'mère, les dossiers sont là-haut.
Martine, sans une parole, était allée se planter à la porte de la chambre, l'oreille au guet, écoutant le pilon, tandis que Félicité, clouée sur place par l'émotion, regardait les dossiers. Enfin, c'étaient eux, ces dossiers terribles, dont le cauchemar empoisonnait sa vie! elle les voyait, elle allait les toucher, les emporter! Et elle se dressait, dans un allongement passionné de ses courtes jambes.
--C'est trop haut, mon petit chat, dit-elle. Aides-moi, donne-les-moi!
--Oh! ?a, non, grand'mère.... Prends une chaise.
Félicité prit une chaise, monta lestement dessus. Mais elle était encore trop petite. D'un effort extraordinaire, elle se haussait, arrivait à se grandir, jusqu'à toucher du bout de ses ongles les chemises de fort papier bleu; et ses doigts se promenaient, se crispaient, avec des égratignements de griffes. Brusquement, il y eut un fracas: c'était un échantillon géologique, un fragment de marbre, qui se trouvait sur une planche inférieure, et qu'elle venait de faire tomber.
Aussit?t, le pilon s'arrêta, et Martine dit d'une voix étouffée:
--Méfiez-vous, le voici!
Mais Félicité, désespérée, n'entendait pas, ne lachait pas, lorsque Pascal entra vivement. Il avait cru à un malheur, à une chute, et il demeura stupéfié devant ce qu'il voyait: sa mère sur la chaise, le bras encore en l'air, tandis que Martine s'était écartée, et que Clotilde debout, très pale, attendait, sans détourner les yeux. Quand il eut compris, lui-même devint d'une blancheur de linge. Une colère terrible montait en lui.
La vieille madame Rougon, d'ailleurs, ne se troubla aucunement. Dès qu'elle vit l'occasion perdue, elle sauta de la chaise, ne fit aucune allusion à la vilaine besogne dans laquelle il la surprenait.
--Tiens, c'est toi! Je ne voulais pas te déranger.... J'étais venue embrasser Clotilde. Mais voici près de deux heures que je bavarde, et je file bien vite. On m'attend chez moi, on ne doit plus savoir ce que je suis devenue.... Au revoir, à dimanche!
Elle s'en alla, très à l'aise, après avoir souri à son fils, qui était resté muet devant elle, respectueux. C'était une attitude prise par lui, depuis longtemps, pour éviter une explication qu'il sentait devoir être cruelle et
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