Le Docteur Pascal | Page 3

Emile Zola
fantaisie telles que jamais elle ne se répétait, créant des roses au coeur saignant, pleurant des larmes de soufre, des lis pareils à des urnes de cristal, des fleurs même sans forme connue, élargissant des rayons d'astre, laissant flotter des corolles ainsi que des nuées. Ce jour-là, sur la feuille sabrée à grands coups de crayon noir, c'était une pluie d'étoiles pales, tout un ruissellement de pétales infiniment doux; tandis que, dans un coin un épanouissement innomé, un bouton aux chastes voiles, s'ouvrait.
--Encore un que tu vas me clouer là! reprit le docteur en montrant le mur, où s'alignaient déjà des pastels aussi étranges. Mais qu'est-ce que ?a peut bien représenter, je te le demande?
Elle resta très grave, se recula pour mieux voir son oeuvre.
--Je n'en sais rien, c'est beau.
A ce moment, Martine entra, l'unique servante, devenue la vraie ma?tresse de la maison, depuis près de trente ans qu'elle était au service du docteur. Bien qu'elle e?t dépassé la soixantaine, elle gardait un air jeune, elle aussi, active et silencieuse, dans son éternelle robe noire et sa coiffe blanche, qui la faisait ressembler à une religieuse, avec sa petite figure blême et reposée, où semblaient s'être éteints ses yeux couleur de cendre.
Elle ne parla pas, alla s'asseoir à terre devant un fauteuil, dont la vieille tapisserie laissait passer le crin par une déchirure; et, tirant de sa poche une aiguille et un écheveau de laine, elle se mit à la raccommoder. Depuis trois jours, elle attendait d'avoir une heure, pour faire cette réparation qui la hantait.
--Pendant que vous y êtes, Martine, s'écria Pascal plaisamment, en prenant dans ses deux mains la tête révoltée de Clotilde, recousez-moi donc aussi cette caboche-là, qui a des fuites.
Martine leva ses yeux pales, regarda son ma?tre de son air habituel d'adoration.
--Pourquoi monsieur me dit-il cela?
--Parce que, ma brave fille, je crois bien que c'est vous qui avez fourré là dedans, dans cette bonne petite caboche ronde, nette et solide, des idées de l'autre monde, avec toute votre dévotion.
Les deux femmes échangèrent un regard d'intelligence.
--Oh! monsieur, la religion n'a jamais fait de mal à personne.... Et, quand on n'a pas les mêmes idées, il vaut mieux n'en pas causer, bien s?r.
Il se fit un silence gêné. C'était la seule divergence qui, parfois, amenait des brouilles, entre ces trois êtres si unis, vivant d'une vie si étroite. Martine n'avait que vingt-neuf ans, un an de plus que le docteur, quand elle était entrée chez lui, à l'époque où il débutait à Plassans comme médecin, dans une petite maison claire de la ville neuve. Et, treize années plus tard, lorsque Saccard, un frère de Pascal, lui envoya de Paris sa fille Clotilde, agée de sept ans, à la mort de sa femme et au moment de se remarier, ce fut elle qui éleva l'enfant, la menant à l'église, lui communiquant un peu de la flamme dévote dont elle avait toujours br?lé; tandis que le docteur, d'esprit large, les laissait aller à leur joie de croire, car il ne se sentait pas le droit d'interdire à personne le bonheur de la foi. Il se contenta ensuite de veiller sur l'instruction de la jeune fille, de lui donner en toutes choses des idées précises et saines. Depuis près de dix-huit ans qu'ils vivaient ainsi tous les trois, retirés à la Souleiade, une propriété située dans un faubourg de la ville, à un quart d'heure de Saint-Saturnin, la cathédrale, la vie avait coulé heureuse, occupée à de grands travaux cachés, un peu troublée pourtant par un malaise qui grandissait, le heurt de plus en plus violent de leurs croyances.
Pascal se promena un instant, assombri. Puis, en homme qui ne machait pas ses mots:
--Vois-tu, chérie, toute cette fantasmagorie du mystère a gaté ta jolie cervelle.... Ton bon Dieu n'avait pas besoin de toi, j'aurais d? te garder pour moi tout seul, et tu ne t'en porterais que mieux.
Mais Clotilde, frémissante, ses clairs regards hardiment fixés sur les siens, lui tenait tête.
--C'est toi, ma?tre, qui te porterais mieux, si tu ne t'enfermais pas dans tes yeux de chair.... Il y a autre chose, pourquoi ne veux-tu pas voir?
Et Martine vint à son aide, en son langage.
--C'est bien vrai, monsieur, que vous qui êtes un saint, comme je le dis partout, vous devriez nous accompagner à l'église.... S?rement, Dieu vous sauvera. Mais, à l'idée que vous pourriez ne pas aller droit en paradis, j'en ai tout le corps qui tremble.
Il s'était arrêté, il les avait devant lui toutes deux, en pleine rébellion, elles si dociles, à ses pieds d'habitude, d'une tendresse de femmes conquises par sa gaieté et sa bonté. Déjà, il ouvrait la bouche, il allait répondre rudement, lorsque l'inutilité de la discussion lui apparut.
--Tenez! fichez-moi la paix. Je ferai mieux d'aller travailler.... Et, surtout, qu'on ne me dérange pas!
D'un pas leste, il
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