que cela soit beau à l'audience, que cela plaise aux dames. Il a son bagage de lieux communs encore très neufs pour la province, ses élégances d'élocution, ses recherches, ses raffinements d'écrivain. Il hait le mot propre presque autant que nos poètes tragiques de l'école de Delille. N'ayez pas peur qu'il appelle les choses par leur nom. Fi donc?! Il a pour toute idée dont la nudité vous révolterait des déguisements complets d'épithètes et d'adjectifs. Il rend M. Samson présentable. Il gaze le couperet. Il estompe la bascule. Il entortille le panier rouge dans une périphrase. On ne sait plus ce que c'est. C'est douceatre et décent. Vous le représentez-vous, la nuit, dans son cabinet, élaborant à loisir et de son mieux cette harangue qui fera dresser un échafaud dans six semaines?? Le voyez-vous suant sang et eau pour embo?ter la tête d'un accusé dans le plus fatal article du code?? Le voyez-vous scier avec une loi mal faite le cou d'un misérable?? Remarquez-vous comme il fait infuser dans un gachis de tropes et de synecdoches deux ou trois textes vénéneux pour en exprimer et en extraire à grand-peine la mort d'un homme?? N'est-il pas vrai que, tandis qu'il écrit, sous sa table, dans l'ombre, il a probablement le bourreau accroupi à ses pieds, et qu'il arrête de temps en temps sa plume pour lui dire, comme le ma?tre à son chien?: --?Paix là?! paix là?! tu vas avoir ton os?!
Du reste, dans la vie privée, cet homme du roi peut être un honnête homme, bon père, bon fils, bon mari, bon ami, comme disent toutes les épitaphes du Père-Lachaise.
Espérons que le jour est prochain où la loi abolira ces fonctions funèbres. L'air seul de notre civilisation doit dans un temps donné user la peine de mort.
On est parfois tenté de croire que les défenseurs de la peine de mort n'ont pas bien réfléchi à ce que c'est. Mais pesez donc un peu à la balance de quelque crime que ce soit ce droit exorbitant que la société s'arroge d'?ter ce qu'elle n'a pas donné, cette peine, la plus irréparable des peines irréparables?!
De deux choses l'une?:
Ou l'homme que vous frappez est sans famille, sans parents, sans adhérents dans ce monde. Et dans ce cas, il n'a re?u ni éducation, ni instruction, ni soins pour son esprit, ni soins pour son coeur?; et alors de quel droit tuez-vous ce misérable orphelin?? Vous le punissez de ce que son enfance a rampé sur le sol sans tige et sans tuteur?! Vous lui imputez à forfait l'isolement où vous l'avez laissé?! De son malheur vous faites son crime?! Personne ne lui a appris à savoir ce qu'il faisait. Cet homme ignore. Sa faute est à sa destinée, non à lui. Vous frappez un innocent.
Ou cet homme a une famille?; et alors croyez-vous que le coup dont vous l'égorgez ne blesse que lui seul?? que son père, que sa mère, que ses enfants, n'en saigneront pas?? Non. En le tuant, vous décapitez toute sa famille. Et ici encore vous frappez des innocents.
Gauche et aveugle pénalité, qui, de quelque c?té qu'elle se tourne, frappe l'innocent?!
Cet homme, ce coupable qui a une famille, séquestrez-le. Dans sa prison, il pourra travailler encore pour les siens. Mais comment les fera-t-il vivre du fond de son tombeau?? Et songez-vous sans frissonner à ce que deviendront ces petits gar?ons, ces petites filles, auxquelles vous ?tez leur père, c'est-à-dire leur pain?? Est-ce que vous comptez sur cette famille pour approvisionner dans quinze ans, eux le bagne, elles le musico?? Oh?! les pauvres innocents?!
Aux colonies, quand un arrêt de mort tue un esclave, il y a mille francs d'indemnité pour le propriétaire de l'homme. Quoi?! vous dédommagez le ma?tre, et vous n'indemnisez pas la famille?! Ici aussi ne prenez-vous pas un homme à ceux qui le possèdent?? N'est-il pas, à un titre bien autrement sacré que l'esclave vis-à-vis du ma?tre, la propriété de son père, le bien de sa femme, la chose de ses enfants??
Nous avons déjà convaincu votre loi d'assassinat. La voici convaincue de vol.
Autre chose encore. L'ame de cet homme, y songez-vous?? Savez-vous dans quel état elle se trouve?? Osez-vous bien l'expédier si lestement?? Autrefois du moins, quelque foi circulait dans le peuple?; au moment suprême, le souffle religieux qui était dans l'air pouvait amollir le plus endurci?; un patient était en même temps un pénitent?; la religion lui ouvrait un monde au moment où la société lui en fermait un autre?; toute ame avait conscience de Dieu?; l'échafaud n'était qu'une frontière du ciel. Mais quelle espérance mettez-vous sur l'échafaud maintenant que la grosse foule ne croit plus?? maintenant que toutes les religions sont attaquées du dry-rot, comme ces vieux vaisseaux qui pourrissent dans nos ports, et qui jadis peut-être ont découvert des mondes?? maintenant que les petits enfants se
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