et c'est pour cela que Le Dernier Jour d'un Condamné est ainsi fait,
élaguer de toutes parts dans son sujet le contingent, l'accident, le
particulier, le spécial, le relatif, le modifiable, l'épisode, l'anecdote,
l'événement, le nom propre, et se borner (si c'est là se borner) à plaider
la cause d'un condamné quelconque, exécuté un jour quelconque, pour
un crime quelconque. Heureux si, sans autre outil que sa pensée, il a
fouillé assez avant pour faire saigner un coeur sous l'oes triplex du
magistrat ! heureux s'il a rendu pitoyables ceux qui se croient justes !
heureux si, à force de creuser dans le juge, il a réussi quelquefois à y
retrouver un homme !
Il y a trois ans, quand ce livre parut, quelques personnes imaginèrent
que cela valait la peine d'en contester l'idée à l'auteur. Les uns
supposèrent un livre anglais, les autres un livre américain. Singulière
manie de chercher à mille lieues les origines des choses, et de faire
couler des sources du Nil le ruisseau qui lave votre rue ! Hélas ! il n'y a
en ceci ni livre anglais, ni livre américain, ni livre chinois. L'auteur a
pris l'idée du Dernier Jour d'un Condamné, non dans un livre, il n'a pas
l'habitude d'aller chercher ses idées si loin, mais là où vous pouviez
tous la prendre, où vous l'aviez prise peut-être (car qui n'a fait ou rêvé
dans son esprit Le Dernier Jour d'un Condamné ?), tout bonnement sur
la place publique, sur la place de Grève.
C'est là qu'un jour en passant il a ramassé cette idée fatale, gisante dans
une mare de sang sous les rouges moignons de la guillotine.
Depuis, chaque fois qu'au gré des funèbres jeudis de la cour de
cassation, il arrivait un de ces jours où le cri d'un arrêt de mort se fait
dans Paris, chaque fois que l'auteur entendait passer sous ses fenêtres
ces hurlements enroués qui ameutent des spectateurs pour la Grève,
chaque fois, la douloureuse idée lui revenait, s'emparait de lui, lui
emplissait la tête de gendarmes, de bourreaux et de foule, lui expliquait
heure par heure les dernières souffrances du misérable agonisant, -- en
ce moment on le confesse, en ce moment on lui coupe les cheveux, en
ce moment on lui lie les mains, -- le sommait, lui pauvre poète, de dire
tout cela à la société, qui fait ses affaires pendant que cette chose
monstrueuse s'accomplit, le pressait, le poussait, le secouait, lui
arrachait ses vers de l'esprit, s'il était en train d'en faire, et les tuait à
peine ébauchés, barrait tous ses travaux, se mettait en travers de tout,
l'investissait, l'obsédait, l'assiégeait. C'était un supplice, un supplice qui
commençait avec le jour, et qui durait, comme celui du misérable qu'on
torturait au même moment, jusqu'à quatre heures. Alors seulement, une
fois le ponens caput expiravit crié par la voix sinistre de l'horloge,
l'auteur respirait et retrouvait quelque liberté d'esprit. Un jour enfin,
c'était, à ce qu'il croit, le lendemain de l'exécution d'Ulbach, il se mit à
écrire ce livre. Depuis lors il a été soulagé. Quand un de ces crimes
publics, qu'on nomme exécutions judiciaires, a été commis, sa
conscience lui a dit qu'il n'en était plus solidaire ; et il n'a plus senti à
son front cette goutte de sang qui rejaillit de la Grève sur la tête de tous
les membres de la communauté sociale.
Toutefois, cela ne suffit pas. Se laver les mains est bien, empêcher le
sang de couler serait mieux.
Aussi ne connaîtrait-il pas de but plus élevé, plus saint, plus auguste
que celui-là : concourir à l'abolition de la peine de mort. Aussi est-ce du
fond du coeur qu'il adhère aux voeux et aux efforts des hommes
généreux de toutes les nations qui travaillent depuis plusieurs années à
jeter bas l'arbre patibulaire, le seul arbre que les révolutions ne
déracinent pas. C'est avec joie qu'il vient à son tour, lui chétif, donner
son coup de cognée, et élargir de son mieux l'entaille que Beccaria a
faite, il y a soixante-six ans, au vieux gibet dressé depuis tant de siècles
sur la chrétienté.
Nous venons de dire que l'échafaud est le seul édifice que les
révolutions ne démolissent pas. Il est rare, en effet, que les révolutions
soient sobres de sang humain, et, venues qu'elles sont pour émonder,
pour ébrancher, pour étêter la société, la peine de mort est une des
serpes dont elles se dessaisissent le plus malaisément.
Nous l'avouerons cependant, si jamais révolution nous parut digne et
capable d'abolir la peine de mort, c'est la révolution de juillet. Il semble,
en effet, qu'il appartenait au mouvement populaire le plus clément des
temps modernes de raturer la pénalité barbare de Louis XI, de
Richelieu et de Robespierre, et d'inscrire au front de la loi l'inviolabilité
de la vie
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