le jour de la fête de la Madone du Pied-de-la-Grotte.
Aussi ce jour-là la foule se presse-t-elle sous ses allées d'acacias, dans
ses bosquets de myrtes, autour de son temple circulaire. Chacun,
homme et femme, accourt de vingt lieues à la ronde avec son costume
national; Ischia, Caprée, Castellamare, Sorrente, Procida, envoient en
députation leurs plus belles filles, et la solennité de ce jour est si grande,
si ardemment attendue, qu'il est d'habitude de faire dans les contrats de
mariage une obligation au mari de conduire sa femme à la promenade
de la Villa-Reale, le 8 septembre de chaque année, jour de la fête della
Madona di Pie-di-Grotta.
Tout au contraire des Tuileries, d'où l'on renvoie le public au moment
où il est le plus agréable de s'y promener, la Villa-Reale reste ouverte
toute la nuit. Les grandes grilles se ferment, il est vrai, mais deux
petites portes dérobées offrent aux promeneurs attardés une entrée et
une sortie toujours praticables à quelque heure que ce soit.
Nous restâmes jusqu'à minuit assis sur le mur que vient battre la vague.
Nous ne pouvions nous lasser de regarder cette mer limpide et azurée
que nous venions de sillonner en tous sens et à laquelle nous allions
dire adieu. Jamais elle ne nous avait paru si belle.
En entrant à l'hôtel, nous trouvâmes M. Martin Zir, qui nous prévint
que toutes les commissions dont nous l'avions chargé étaient faites, et
que le lendemain notre attelage nous attendrait à huit heures du matin à
la porte de l'hôtel.
Effectivement, à l'heure dite, nous entendîmes sonner les grelots de nos
revenans; nous mîmes le nez à la fenêtre, et nous vîmes le roi des
corricoli.
Il était fond rouge avec des dessins verts. Ces dessins représentaient des
arbres, des animaux et des arabesques. La composition générale
représentait le paradis terrestre.
Deux chevaux qui paraissaient pleins d'impatience disparaissaient sous
les harnais, sous les panaches, sous les pompons dont ils étaient
couverts.
Enfin un homme, armé d'un long fouet, se tenait debout près de notre
équipage, qu'il paraissait admirer avec toute la satisfaction de l'orgueil.
Nous descendîmes aussitôt, et nous reconnûmes dans l'homme au fouet
Francesco, c'est-à-dire l'automédon qui nous avait amené en calessino
de Salerne à Naples. M. Martin Zir s'était adressé à lui comme à un
homme de l'état. Flatté de la confiance, Francesco avait fait vite et en
conscience. Il s'était procuré la caisse, il avait acheté les chevaux, et il
avait trouvé de rencontre des harnais presque neufs; enfin, malgré la
prétention que nous avions manifestée de conduire nous-mêmes, il
venait nous offrir ses services comme cocher.
Je commençai par lui demander la note de ses déboursés: il me la
présenta. Comme l'avait dit M. Martin Zir, elle montait à
quatre-vingt-un francs.
Je lui en donnai quatre-vingt-dix; il mit sa croix au dessous du total en
forme de quittance; puis je lui pris le fouet des mains, et je m'apprêtai à
monter dans notre équipage.
--Est-ce que ces messieurs ne me gardent pas à leur service? nous
demanda Francesco.
--Et pourquoi faire, mon ami? répondis-je.
--Mais pour faire tout ce dont je serai capable, et particulièrement pour
faire marcher vos chevaux.
--Comment! pour faire marcher nos chevaux?
--Oui.
--Nous, les ferons bien marcher nous-mêmes.
--Il faudra voir.
--J'en ai mené de plus fringans que les tiens!
--Je ne dis pas qu'ils sont fringans, excellence.
--Et dans une ville où il est plus difficile de conduire qu'à Naples, où
jusqu'à cinq heures de l'après-midi il n'y a personne dans les rues.
--Je ne doute pas de l'adresse de son excellence, mais...
--Mais quoi?
--Mais son excellence a peut-être mené jusqu'ici des chevaux vivans,
tandis que...
--Tandis que? Voyons, parle.
--Tandis que ceux-ci sont des chevaux morts.
--Eh bien!
--Eh bien! je ferai observer à son excellence que c'est tout autre chose.
--Pourquoi?
--Son excellence verra.
--Est-ce qu'ils sont vicieux, tes chevaux?
--Oh! non, excellence; ils sont comme la jument de Roland, qui avait
toutes les qualités; seulement toutes ces qualités étaient contrebalancées
par un seul défaut.
--Lequel?
--Elle était morte.
--Mais s'ils ne marchent pas avec moi, ils ne marcheront avec personne.
--Pardon, excellence.
--Et qui les fera marcher?
--Moi.
--Je serais curieux de faire l'expérience.
--Faites, excellence.
Francesco alla d'un air goguenard s'appuyer contre la porte de l'hôtel,
tandis que je sautais dans le corricolo, où m'attendait Jadin, et que je
m'accommodais près de lui.
A peine établi, je rassemblai mes rênes de la main gauche, et j'allongeai
de la droite un coup de fouet qui enveloppa le bilancino et le porteur.
Ni le porteur ni le bilancino ne bougèrent; on eût dit des chevaux de
marbre.
J'avais opéré de droite à gauche, je recommençai en opérant cette fois
de gauche à droite. Même immobilité.
Je m'attaquai aux oreilles.
Ils se contentèrent de secouer les oreilles
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