la tapisserie.
--Faites descendre Osmin et Zaïda, dit le dey.
L'esclave croisa les mains sur sa poitrine, courba la tête et s'éloigna
sans répondre un mot. Un instant après il reparut avec les coupables.
L'eunuque était une petite boule de chaire, grosse, grasse, ronde, avec
des mains de femme, des pieds de femme, une figure de femme.
Zaïda était une Circassienne, aux yeux peints avec du cool, aux dents
noircies avec du bétel, aux ongles rougis avec du henné.
En apercevant Hussein-Pacha, l'eunuque tomba à genoux, Zaïda releva
la tête. Les yeux du dey étincelèrent, et il porta la main à son canjiar.
Osmin pâlit, Zaïda sourit.
Le ministre se plaça entre le pacha et les coupables.
--Faites ce que j'ai ordonné, dit-il en se retournant vers Gennaro.
Gennaro s'avança vers Osmin et vers Zaïda, leur mit à tous deux les
poucettes et les emmena.
Au moment où ils quittaient la chambre avec le brigadier, Hussein
poussa un soupir qui ressemblait à un rugissement.
Le ministre de la police alla vers la fenêtre, vit les deux prisonniers
sortir de l'hôtel, et, accompagné de leur escorte, disparaître au coin de
la rue Chiatamone.
--Maintenant, dit-il en se retournant vers le dey, Votre Hautesse est
libre de partir quand elle voudra.
--A l'instant même! s'écria Hussein, à l'instant même! Je ne resterai pas
un instant de plus dans un pays aussi barbare que le vôtre!
--Bon voyage! dit le ministre.
--Allez au diable! dit Hussein.
Une heure ne s'était pas écoulée que Hussein avait frété un petit
bâtiment; deux heures après il y avait fait conduire ses femmes et ses
trésors. Le même soir il s'y rendait à son tour avec sa suite, et à minuit
il mettait à la voile, maudissant ce pays d'esclaves où l'on n'était pas
libre de couper le cou à son eunuque et de noyer sa femme.
Le lendemain, le ministre fit comparaître devant lui les deux coupables
et leur fit subir un interrogatoire.
Osmin fut convaincu d'avoir dormi quand il aurait dû veiller, et Zaïda
d'avoir veillé quand elle aurait dû dormir.
Mais comme dans le code napolitain ces deux crimes de lèze-hautesse
n'étaient point prévus, ils n'étaient passibles d'aucune punition.
En conséquence, Osmin et Zaïda furent, à leur grand étonnement, mis
en liberté le lendemain même du jour où le dey avait quitté Naples.
Or, comme tous les deux ne savaient que devenir, n'ayant ni fortune ni
état, ils furent forcés de se créer chacun une industrie.
Osmin devint marchand de pastilles du sérail, et Zaïda se fit demoiselle
de comptoir.
Quant au dey d'Alger, il était sorti de Naples avec l'intention de se
rendre en Angleterre, pays où il avait entendu dire qu'on avait au moins
la liberté de vendre sa femme, à défaut du droit de la noyer: mais il se
trouva indisposé pendant la traversée et fut forcé de relâcher à Livourne,
où il fit, comme chacun sait, une fort belle mort, si ce n'est cependant
qu'il mourut sans avoir pardonné à M. Martin Zir, ce qui aurait eu de
grandes conséquences pour un chrétien, mais ce qui est sans importance
pour un Turc.
II
Les Chevaux spectres.
J'avais été recommandé à M. Martin Zir comme artiste; j'avais admiré
ses galeries de tableaux, j'avais exalté son cabinet de curiosités, et
j'avais augmenté sa collection d'autographes. Il en résultait que M.
Martin Zir, à mon premier passage, si rapide qu'il eût été, m'avait pris
en grande affection; et la preuve, c'est qu'il s'était, comme on l'a vu
ailleurs, défait en ma faveur de son cuisinier Cama, dont j'ai raconté
l'histoire (voir le Speronare), et qui n'avait d'autre défaut que d'être
appassionnato de Roland et de ne pouvoir supporter la mer, ce qui était
cause que sur terre il faisait fort peu de cuisine, et que sur mer il n'en
faisait pas du tout.
Ce fut donc avec grand plaisir que M. Martin Zir nous vit, après trois
mois d'absence, pendant lesquels le bruit de notre mort était arrivé
jusqu'à lui, descendre à la porte de son hôtel.
Comme sa galerie s'était augmentée de quelques tableaux, comme son
cabinet s'était enrichi de quelques curiosités, comme sa collection
d'autographes s'était recrutée de quelques signatures, il me fallut avant
toute chose parcourir la galerie, visiter le cabinet, feuilleter les
autographes.
Après quoi je le priai de me donner un appartement.
Cependant il ne s'agissait pas de perdre mon temps à me reposer. J'étais
à Naples, c'est vrai; mais j'y étais sous un nom de contrebande; et
comme d'un jour à l'autre le gouvernement napolitain pouvait découvrir
mon incognito et me prier d'aller voir à Rome si son ministre y était
toujours, il fallait voir Naples le plus tôt possible.
Or, Naples, à part ses environs, se compose de trois rues où l'on va
toujours, et de cinq cents
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