Le Corricolo | Page 6

Alexandre Dumas, père
cher h?te. Seulement, je voudrais savoir ce qu'on loue un corricolo au mois.
--On ne loue pas un corricolo au mois, me r��pondit M. Martin.
--Alors �� la semaine.
--On ne loue pas le corricolo �� la semaine.
--Eh bien! au jour.
--On ne loue pas le corricolo au jour.
--Comment donc loue-t-on le corricolo?
--On monte dedans quand il passe et l'on dit: ?Pour un carlin.? Tant que le carlin dure, le cocher vous prom��ne; le carlin us��, on vous descend. Voulez-vous recommencer? vous dites: ?Pour un autre carlin;? le corricolo repart, et ainsi de suite.
--Mais moyennant ce carlin on va o�� l'on veut?
--Non, on va o�� le cheval veut aller. Le corricolo est comme le ballon, on n'a pas encore trouv�� moyen de le diriger.
--Mais alors pourquoi va-t-on en corricolo!
--Pour le plaisir d'y aller.
--Comment! c'est pour leur plaisir que ces malheureux s'entassent �� quinze dans une voiture o�� l'on est g��n�� �� deux!
--Pas pour autre chose.
--C'est original!
--C'est comme cela.
--Mais si je proposais �� un propri��taire de corricoli de louer un de ses berlingo au mois, �� la semaine ou au jour?
--Il refuserait.
--Pourquoi?
--Ce n'est pas l'habitude.
--Il la prendrait.
--A Naples, on ne prend pas d'habitudes nouvelles: on garde les vieilles habitudes qu'on a.
--Vous croyez?
--J'en suis s?r.
--Diable! diable! J'avais une id��e sur le corricolo; cela me vexera horriblement d'y renoncer.
--N'y renoncez pas.
--Comment voulez-vous que je la satisfasse, puisqu'on ne loue les corricoli ni au mois, ni �� la semaine, ni au jour?
--Achetez un corricolo.
--Mais ce n'est pas le tout que d'acheter un corricolo, il faut acheter les chevaux avec.
--Achetez les chevaux avec.
--Mais cela me co?tera les yeux de la t��te.
--Non.
--Combien cela me co?tera-t-il donc?
--Je vais vous le dire.
Et M. Martin, sans se donner la peine de prendre une plume et du papier, leva le nez au plafond et calcula de m��moire.
--Cela vous co?tera, reprit-il, le corricolo, dix ducats; chaque cheval, trente carlins; les harnais, une pistole; en tout quatre-vingts francs de France.
--C'est miraculeux! Et pour dix ducats j'aurai un corricolo?
--Magnifique.
--Neuf?
--Oh! vous en demandez trop. D'abord, il n'y a pas de corricoli neufs. Le corricolo n'existe pas, le corricolo est mort, le corricolo a ��t�� tu�� l��galement.
--Comment cela?
--Oui, il y a un arr��t�� de police qui d��fend aux carrossiers de faire des corricoli.
--Et combien y a-t-il que cet arr��t�� a ��t�� rendu?
--Oh! il y a cinquante ans peut-��tre.
--Alors comment le corricolo survit-il �� une pareille ordonnance?
--Vous connaissez l'histoire du couteau de Jeannot.
--Je crois bien! c'est une chronique nationale.
--Ses propri��taires successifs en avaient chang�� quinze fois le manche.
--Et quinze fois la lame.
--Ce qui ne l'emp��chait pas d'��tre toujours le m��me.
--Parfaitement.
--Eh bien! c'est l'histoire du corricolo. Il est d��fendu de faire des corricoli, mais il n'est pas d��fendu de mettre des roues neuves aux vieilles caisses, et des caisses neuves aux vieilles roues.
--Ah! je comprends.
--De cette fa?on, le corricolo r��siste et se perp��tue; de cette fa?on, le corricolo est immortel.
--Alors vive le corricolo, avec des roues neuves et une vieille caisse! Je le fais repeindre, et fouette cocher! Mais l'attelage? Vous dite que pour trente francs j'aurai un attelage.
--Superbe! et qui ira comme le vent.
--Quelle esp��ce de chevaux?
--Ah! dame! des chevaux morts.
--Comment! des chevaux morts?
--Oui; vous comprenez que pour ce prix-l��, vous ne pouvez pas exiger autre chose.
--Voyons, entendons-nous, mon cher monsieur Martin, car il me semble que nous pataugeons.
--Pas le moins du monde.
--Alors expliquez-moi la chose; je ne demande pas mieux que de m'instruire, je voyage pour cela.
--Vous connaissez l'histoire des chevaux?
--L'histoire naturelle? M. de Buffon? Certainement: le cheval est, apr��s le lion, le plus noble des animaux.
--Non pas, l'histoire philosophique?
--Je m'en suis moins occup��; mais n'importe! allez toujours.
--Vous savez les vicissitudes auxquelles ces nobles quadrup��des sont soumis.
--Dame! quand il sont jeunes, on en fait des chevaux de selle.
--Apr��s?
--De la selle, ils passent �� la cal��che; de la cal��che, ils descendent au fiacre; du fiacre, ils tombent dans le coucou; du coucou, ils d��gringolent jusqu'�� l'abattoir.
--Et de l'abattoir?
--Ils vont o�� va l'ame du juste; aux Champs-��lys��es, je pr��sume.
--Eh bien! ici ils parcourent une phase de plus.
--Laquelle?
--De l'abattoir, ils vont au corricolo.
--Comment cela?
--Voici l'endroit o�� l'on tue les chevaux, au ponte della Maddelena.
--J'��coute.
--Il y a des amateurs en permanence.
--Bon!
--Et lorsqu'on am��ne un cheval...
--Lorsqu'on am��ne un cheval?
--Ils ach��tent la peau sur pieds trente carlins, c'est le prix; il y a un tarif.
--Eh bien?
--Eh bien! au lieu de tuer le cheval et de lui enlever la peau, les amateurs prennent la peau et le cheval, et ils utilisent les jours qui restent �� vivre au cheval, s?rs qu'ils sont que la peau ne leur ��chappera pas. Voil�� ce que c'est que des chevaux morts.
--Mais que diable peut-on faire de ces malheureuses b��tes!
--On les attelle aux corricoli.
--Comment! ceux avec lesquels je suis venu de Salerne �� Naples?...
--��taient des fant?mes de chevaux, des chevaux spectres!
--Mais ils n'ont pas quitt�� le galop!
--Les morts vont vite.
--Au fait, je comprends qu'en les bourrant d'avoine...
--D'avoine? Jamais un cheval de
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