Le Collier de la Reine, Tome I | Page 9

Alexandre Dumas, père
la liqueur, en descendant, avait r��g��n��r�� tout ce corps de l'une �� l'autre extr��mit��.
Un cri de surprise, de stupeur, un cri d'admiration surtout retentit dans l'appartement. Taverney, qui mangeait du bout des gencives, se sentit affam��. Il prit vigoureusement assiette et couteau, se servit d'un rago?t plac�� �� sa gauche, et broya des os de perdrix en disant qu'il sentait repousser ses dents de vingt ans.
Il mangea, rit, but, et cria de joie pendant une demi-heure; et pendant cette demi-heure, les autres convives rest��rent stup��faits en le regardant; puis, peu �� peu, il baissa comme une lampe �� laquelle l'huile vient �� manquer. Ce fut d'abord son front, o�� les anciens plis un instant disparus se creus��rent en rides nouvelles; ses yeux se voil��rent et s'obscurcirent. Il perdit le go?t, puis son dos se vo?ta. Son app��tit disparut; ses genoux recommenc��rent a trembler.
--Oh! fit-il en g��missant.
--Eh bien! demand��rent tous les convives.
--Eh bien? adieu la jeunesse.
Et il poussa un profond soupir accompagn�� de deux larmes qui vinrent humecter sa paupi��re.
Instinctivement, et �� ce triste aspect du vieillard rajeuni d'abord et redevenu plus vieux ensuite par ce retour de jeunesse, un soupir pareil �� celui qu'avait pouss�� Taverney sortit de la poitrine de chaque convive.
--C'est tout simple, messieurs, dit Cagliostro, je n'ai vers�� au baron que trente-cinq gouttes de l'��lixir de vie, et il n'a rajeuni que de trente-cinq minutes.
--Oh! encore! encore! comte, murmura le vieillard avec avidit��.
--Non, monsieur, car une seconde ��preuve vous tuerait peut-��tre, r��pondit Cagliostro.
De tous les convives, c'��tait Mme du Barry qui, connaissant la vertu de cet ��lixir, avait suivi le plus curieusement les d��tails de cette sc��ne.
�� mesure que la jeunesse et la vie gonflaient les art��res du vieux Taverney, l'oeil de la comtesse suivait dans les art��res la progression de la jeunesse et de la vie. Elle riait, elle applaudissait, elle se r��g��n��rait par la vue.
Quand le succ��s du breuvage atteignit son apog��e, la comtesse faillit se jeter sur la main de Cagliostro pour lui arracher le flacon de vie.
Mais, en ce moment, comme Taverney vieillissait plus vite qu'il n'avait rajeuni...
--H��las! je le vois bien, dit-elle tristement, tout est vanit��, tout est chim��re; le secret merveilleux a dur�� trente-cinq minutes.
--C'est-��-dire, reprit le comte de Haga, que, pour se donner une jeunesse de deux ans, il faudrait boire un fleuve.
Chacun se mit �� rire.
--Non, dit Condorcet, le calcul est simple: �� trente-cinq gouttes pour trente-cinq minutes, c'est une mis��re de trois millions cent cinquante-trois mille six gouttes, si l'on veut rester jeune un an.
--Une inondation, dit La P��rouse.
--Et cependant, �� votre avis, monsieur, il n'en a pas ��t�� ainsi de moi, puisqu'une petite bouteille, quatre fois grande comme votre flacon, et que m'avait donn��e votre ami Joseph Balsamo, a suffi pour arr��ter chez moi la marche du temps pendant dix ann��es.
--Justement, madame, et vous seule touchez du doigt la myst��rieuse r��alit��. L'homme qui �� vieilli et trop vieilli a besoin de cette quantit�� pour qu'un effet imm��diat et puissant se produise. Mais une femme de trente ans, comme vous les avez, madame, ou un homme de quarante ans, comme je les avais quand nous avons commenc�� �� boire l'��lixir de vie, cette femme ou cet homme, pleins de jours et de jeunesse encore, n'ont besoin que de boire dix gouttes de cette eau �� chaque p��riode de d��cadence, et moyennant ces dix gouttes, celui ou celle qui les boira encha?nera ��ternellement la jeunesse et la vie au m��me degr�� de charme et d'��nergie.
--Qu'appelez-vous les p��riodes de la d��cadence? demanda le comte de Haga.
--Les p��riodes naturelles, monsieur le comte. Dans l'��tat de nature, les forces de l'homme croissent jusqu'�� trente-cinq ans. Arriv�� l��, il reste stationnaire jusqu'�� quarante. �� partir de quarante, il commence �� d��cro?tre, mais presque imperceptiblement jusqu'�� cinquante. Alors, les p��riodes se rapprochent et se pr��cipitent jusqu'au jour de la mort. En ��tat de civilisation, c'est-��-dire lorsque le corps est us�� par les exc��s, les soucis et les maladies, la croissance s'arr��te �� trente ans. La d��croissance commence �� trente-cinq. Eh bien! c'est alors, homme de la nature ou homme des villes, qu'il faut saisir la nature au moment o�� elle est stationnaire, afin de s'opposer �� son mouvement de d��croissance, au moment m��me o�� il tentera de s'op��rer. Celui qui, possesseur du secret de cet ��lixir, comme je le suis, sait combiner l'attaque de fa?on �� la surprendre et �� l'arr��ter dans son retour sur elle-m��me, celui-l�� vivra comme je vis, toujours jeune ou du moins assez jeune pour ce qu'il lui convient de faire en ce monde.
--Eh! mon Dieu! monsieur de Cagliostro, s'��cria la comtesse, pourquoi donc alors, puisque vous ��tiez le ma?tre de choisir votre age, n'avez-vous pas choisi vingt ans au lieu de quarante?
--Parce que, madame la comtesse, dit en souriant Cagliostro, il me convient d'��tre toujours un homme de quarante
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