Le Capitaine Arena:, vol 1 | Page 8

Alexandre Dumas, père
route déjà parcourue, et sur laquelle

par conséquent nous n'avions aucune observation à faire; mais comme
notre guide était forcé de marcher à pied, attendu qu'après nous avoir
promis d'amener trois mulets il n'en avait amené que deux, espérant que
nous n'en payerions ni plus ni moins les trois piastres convenues par
chaque jour, nous ne pouvions aller qu'un train très-ordinaire; encore en
arrivant à Scylla nous déclara-t-il que, ses mulets n'ayant point mangé
avant leur départ, il était de toute urgence qu'il les fît déjeuner avant
d'aller plus loin. Cela amena un éclaircissement tout naturel: j'avais
entendu que la nourriture, comme toujours, serait au compte du
muletier, et lui au contraire prétendait avoir entendu que la nourriture
de ses mulets serait au compte de ses voyageurs. La chose n'était point
portée sur le _papier_; mais, comme heureusement il y avait sur le
papier que le guide fournirait trois mulets et qu'il n'en avait fourni que
deux, je le sommai de tenir ses conventions à la lettre, à défaut de quoi
j'allais aller prévenir mon ami le brigadier de gendarmerie. La menace
fit son effet: il fut arrêté que, tout en me contentant de deux mulets, j'en
payerais un troisième, et que le prix du mulet absent serait affecté à la
nourriture des deux mulets présents.
Afin de ne pas perdre une heure inutilement à Scylla, nous montâmes,
Jadin et moi, sur le rocher où est bâtie la forteresse. Là, nous relevâmes
une petite erreur archéologique: c'est que la citadelle, qu'on nous avait
dit élevée par Murât, datait de Charles d'Anjou: il y avait cinq siècles et
demi de différence entre l'un et l'autre de ces deux conquérants. Mais le
renseignement nous avait été donné par nos Siciliens, et j'avais déjà
remarqué qu'il ne fallait pas scrupuleusement les croire a l'endroit des
dates.
Ce fut le 7 février 1808 que les compagnies de voltigeurs du 23e
régiment d'infanterie légère et du 67e régiment d'infanterie de ligne
entrèrent à la baïonnette dans la petite ville de Scylla et en chassèrent
les bandits qui l'occupaient, et qui parvinrent à s'embarquer sous la
protection du fort que défendait une garnison du 62e régiment de ligne
anglais.
A peine maîtres de la ville, les Français établirent sur la montagne qui
la domine une batterie de canons destinée à battre le fort en brèche. Le
9, la batterie commença son feu; le 15, la garnison anglaise fut sommée
de se rendre. Sur son refus, le feu continua; mais dans la nuit du 16 au
17 une flottille de petits bâtiments partit des cotes de Sicile et vint

aborder sans bruit au pied du roc. Le jour venu, les assiégeants
s'aperçurent qu'on ne répondait pas à leur feu; en même temps ils eurent
avis que les Anglais s'embarquaient pour la Sicile. Cet embarquement
leur avait paru impossible à cause de l'escarpement du roc taillé à pic;
mais il fallut bien qu'ils en crussent leurs yeux lorsqu'ils virent les
chaloupes s'éloigner chargées d'habits rouges. Ils coururent aussitôt à
l'assaut, s'emparèrent de la forteresse sans résistance aucune et
arrivèrent au haut du rempart juste à temps pour voir s'éloigner la
dernière barque. Un escalier taillé dans le roc, et qu'il était impossible
d'apercevoir de tout autre côté que de celui de la mer, donna
l'explication du miracle. Les canons du fort furent aussitôt tournés vers
les fugitifs, et un bateau chargé de cinquante hommes fut coulé bas; les
autres, craignant le même sort, firent force de voiles pour s'éloigner,
laissant leurs compagnons se tirer de là connue ils pourraient. Les trois
quarts s'en tirèrent en se noyant, l'autre quart regagna la côte à la nage
et fut fait prisonnier par les vainqueurs. On trouva dans le fort dix-neuf
pièces de canon, deux mortiers, deux obusiers, une caronade, beaucoup
de munitions et cent cinquante barils de biscuit.
La prise de Scylla mit fin à la campagne: c'était le seul point où le roi
Ferdinand posât encore le pied en Calabre; et Joseph Napoléon, passé
roi depuis dix-huit mois, se trouva ainsi maître de la moitié du royaume
de son prédécesseur.
J'avoue que ce fut avec un certain plaisir qu'à l'extrémité de la
Péninsule italique je retrouvai la trace des boulets français sur une
citadelle de la Grande-Grèce.
L'heure était écoulée: nous avions donné rendez-vous à notre muletier
de l'autre côté de la ville. Nous revînmes donc sur la grande route, où,
après un instant d'attente, nous fûmes rejoints par notre homme et par
ses deux bêtes. En remontant sur mon mulet je m'aperçus qu'on avait
touché à mes fontes; ma première idée fut qu'on m'avait volé mes
pistolets, mais en levant la couverture je les vis à leur place. Notre
guide nous dit alors que c'était seulement le garçon d'écurie qui les
avait regardés, pour s'assurer s'ils étaient chargés, sans doute,
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