les quatre heures, nos matelots, qui peu à peu, et tout en
dissimulant cette intention, s'étaient rapprochés des côtes de Sicile, se
trouvèrent à un demi-quart de lieue à peu près du village de La Pace;
alors femmes et enfants sortirent et commencèrent à encombrer la côte.
Je vis bien quel était le but de cette manoeuvre, attribuée simplement
au courant, et j'allai au-devant du désir de ces braves gens en les
autorisant, non pas à débarquer, ils ne le pouvaient pas sans patente,
mais à s'approcher du rivage à une assez faible distance pour que
partants et restants pussent se faire encore une fois leurs adieux. Ils
profitèrent de la permission, et en une vingtaine de coups de rames ils
se trouvèrent à portée de la voix. Au bout d'une demi-heure de
conversation le capitaine rappela le premier que nous n'avions pas de
temps à perdre: on fit voler les mouchoirs et sauter les chapeaux,
comme cela se pratique en pareille circonstance, et l'on se mit en route
toujours ramant; pas un souffle d'air ne se faisait sentir, et, au contraire,
le temps devenait de plus en plus lourd.
Comme cette disposition atmosphérique me portait tout naturellement
au sommeil, et que j'avais long-temps vu et si souvent revu le double
rivage de la Sicile et de la Calabre que je n'avais plus grande curiosité
pour lui, je laissai Jadin fumant sa pipe sur le pont, et j'allai me
coucher.
Je dormais depuis trois ou quatre heures à peu près, et tout en dormant
je sentais instinctivement qu'il se passait autour de moi quelque chose
d'étrange, lorsqu'enfin je fus complétement réveillé par le bruit des
matelots courant au-dessus de ma tête et par le cri bien connu de:
Burrasca! burrasca! J'essayai de me mettre sur mes genoux, ce qui ne
me fut pas chose facile, relativement au mouvement d'oscillation
imprimé au bâtiment; mais enfin j'y parvins, et, curieux de savoir ce qui
se passait, je me traînai jusqu'à la porte de derrière de la cabine, qui
donnait sur l'espace réservé au pilote. Je fus bientôt au fait: au moment
où je l'ouvrais, une vague qui demandait à entrer juste au moment où je
voulais sortir m'attrapa en pleine poitrine, et m'envoya bientôt à trois
pas en arrière, couvert d'eau et d'écume. Je me relevai, mais il y avait
inondation complète dans la cabine; j'appelai Jadin pour qu'il m'aidât à
sauver nos lits du déluge. Jadin accourut accompagné du mousse qui
portait une lanterne, tandis que Nunzio, qui avait l'oeil atout, tirait à lui
la porte de la cabine, afin qu'une seconde vague ne submergeât point
tout à fait notre établissement. Nous roulâmes aussitôt nos matelas, qui
heureusement, étant de cuir, n'avaient point eu le temps de prendre l'eau.
Nous les plaçâmes sur des tréteaux qui les élevaient au-dessus des eaux
comme l'esprit de Dieu; nous suspendîmes nos draps et nos couvertures
aux porte-manteaux qui garnissaient les parois intérieures de notre
chambre à coucher; puis, laissant à notre mousse le soin d'éponger les
deux pouces de liquide au milieu duquel nous barbotions, nous
gagnâmes le pont.
Le vent s'était levé comme l'avait dit le pilote et à l'heure qu'il avait dit,
et, selon sa prédiction, nous était tout à fait contraire. Néanmoins,
comme nous étions parvenus à sortir du détroit, nous étions plus à l'aise,
et nous courions des bordées dans l'espérance de gagner un peu de
chemin; mais il résultait de cette manoeuvre que la mer nous battait en
plein travers, et que de temps en temps le bâtiment s'inclinait tellement
que le bout de nos vergues trempait dans la mer. Au milieu de toute
cette bagarre et sur un plan incliné comme un toit, nos matelots
couraient de l'avant en arrière avec une célérité à laquelle nous autres,
qui ne pouvions nous tenir en place qu'en nous cramponnant de toutes
nos forces, ne comprenions véritablement rien. De temps en temps le
cri burrasca! burrasca! retentissait de nouveau; aussitôt on abattait
toutes les voiles, on faisait tourner le speronare, le beaupré dans le veut,
et l'on attendait. Alors le vent arrivait bruissant, et, chargé de pluie,
sifflait à travers nos mâts et nos cordages dépouillés, tandis que les
vagues, prenant notre speronare en dessous, le faisaient bondir comme
une coquille de noix. En même temps, à la lueur de deux ou trois
éclairs qui accompagnaient chaque bourrasque, nous apercevions, selon
que nos bordées nous avaient rapprochés des uns ou des autres, ou les
rivages de la Calabre, ou ceux de la Sicile; et cela toujours à la même
distance: ce qui prouvait que nous ne faisions pas grand chemin. Au
reste, notre petit bâtiment se comportait à merveille et faisait des efforts
inouïs pour nous donner raison contre la pluie, la mer et le vent.
Nous nous obstinâmes ainsi pendant trois ou
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