Le Blanc et le Noir | Page 5

Voltaire
douter que son amant f?t �� Cachemire, et elle avait tant d'horreur pour Barbabou, qu'elle ne voulait rien voir. Le combat se passa le mieux du monde; Barbabou fut tu�� roide, et le peuple en fut charm�� parcequ'il ��tait laid, et que Rustan ��tait fort joli: c'est presque toujours ce qui d��cide de la faveur publique.
Le vainqueur rev��tit la cotte de maille, l'��charpe, et le casque du vaincu, et vint, suivi de toute la cour, au son des fanfares, se pr��senter sous les fen��tres de sa ma?tresse, Tout le monde criait: Belle princesse, venez voir votre beau mari qui a tu�� son vilain rival; ses femmes r��p��taient ces paroles. La princesse mit par malheur la t��te �� la fen��tre, et voyant l'armure d'un homme qu'elle abhorrait, elle courut en d��sesp��r��e �� son coffre de la Chine, et tira le javelot fatal qui alla percer son cher Rustan au d��faut de la cuirasse; il jeta un grand cri, et �� ce cri la princesse crut reconna?tre la voix de son malheureux amant.
Elle descend ��chevel��e, la mort dans les yeux et dans le coeur. Rustan ��tait d��j�� tomb�� tout sanglant dans les bras de son p��re. Elle le voit: ? moment! ? vue! ? reconnaissance dont on ne peut exprimer ni la douleur, ni la tendresse, ni l'horreur! Elle se jette sur lui, elle l'embrasse: Tu re?ois, lui dit-elle, les premiers et les derniers baisers de ton amante et de ta meurtri��re. Elle retire le dard de la plaie, l'enfonce dans son coeur, et meurt sur l'amant qu'elle adore. Le p��re ��pouvant��, ��perdu, pr��t �� mourir comme elle, tache en vain de la rappeler �� la vie; elle n'��tait plus. Il maudit ce dard fatal, le brise en morceaux, jette au loin ses deux diamants funestes; et, tandis qu'on pr��pare les fun��railles de sa fille, au lieu de son mariage, il fait transporter dans son palais Rustan ensanglant��, qui avait encore un reste de vie.
On le porte dans un lit. La premi��re chose qu'il voit aux deux c?t��s de ce lit de mort, c'est Topaze et ��b��ne. Sa surprise lui rendit un peu de force. Ah! cruels, dit-il, pourquoi m'avez-vous abandonn��? peut-��tre la princesse vivrait encore; si vous aviez ��t�� pr��s du malheureux Rustan. Je ne vous ai pas abandonn�� un seul moment, dit Topaze. - J'ai toujours ��t�� pr��s de vous, dit ��b��ne.
Ah! que dites-vous ? pourquoi insulter �� mes derniers moments? r��pondit Rustan d'une voix languissante. Vous pouvez m'en croire, dit Topaze; vous savez que je n'approuvai jamais ce fatal voyage dont je pr��voyais les horribles suites. C'est moi qui ��tais l'aigle qui a combattu contre le vautour, et qu'il a d��plum��; j'��tais l'��l��phant qui emportait le bagage, pour vous forcer �� retourner dans votre patrie; j'��tais l'ane ray�� qui vous ramenait malgr�� vous chez votre p��re: c'est moi qui ai ��gar�� vos chevaux; c'est moi qui ai form�� le torrent qui vous emp��chait de passer; c'est moi qui ai ��lev�� la montagne qui vous fermait un chemin si funeste; j'��tais le m��decin qui vous conseillait l'air natal; j'��tais la pie qui vous criait de ne point combattre.
Et moi, dit ��b��ne, j'��tais le vautour qui a d��plum�� l'aigle; le rhinoc��ros qui donnait cent coups de corne �� l'��l��phant, le vilain qui battait l'ane ray��; le marchand qui vous donnait des chameaux pour courir �� votre perte; j'ai bati le pont sur lequel vous avez pass��; j'ai creus�� la caverne que vous avez travers��e; je suis le m��decin qui vous encourageait �� marcher; le corbeau qui vous criait de vous battre.
H��las! souviens-toi des oracles, dit Topaze: Si tu vas �� l'orient, tu seras �� l'occident. Oui, dit ��b��ne, on ensevelit ici les morts le visage tourn�� �� l'occident: l'oracle ��tait clair, que ne l'as-tu compris? Tu as poss��d��, et tu ne poss��dais pas; car tu avais le diamant, mais il ��tait faux, et tu n'en savais rien. Tu es vainqueur, et tu meurs; tu es Rustan, et tu cesses de l'��tre: tout a ��t�� accompli.
Comme il parlait ainsi, quatre ailes blanches couvrirent le corps de Topaze, et quatre ailes noires celui d'��b��ne. Que vois-je? s'��cria Rustan. Topaze et ��b��ne r��pondirent ensemble: Tu vois tes deux g��nies. Eh! messieurs, leur dit le malheureux Rustan, de quoi vous m��liez-vous ? et pourquoi deux g��nies pour un pauvre homme? C'est la loi, dit Topaze chaque homme a ses deux g��nies, c'est Platon qui l'a dit le premier[1], et d'autres l'ont r��p��t�� ensuite; tu vois que rien n'est plus v��ritable: moi, qui te parle, je suis ton bon g��nie, et ma charge ��tait de veiller aupr��s de toi jusqu'au dernier moment de ta vie; je m'en suis fid��lement acquitt��.
[1] Voyez tome XXX, page 38. B.
Mais, dit le mourant, si ton emploi ��tait de me servir, je suis donc d'une nature fort sup��rieure �� la tienne;
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